Interview de Me Henri Leclerc sur la chaine de l’opposition iranienne Sima-ye-Azadi
Sima – Me Henri Leclerc vous êtes l’avocat du dossier judiciaire de la Résistance iranienne depuis le début, en juin 2003, mais dès ce moment vous avez souligné que cette affaire était sans fondement et qu’il n’existait aucun témoin à charge. Alors qu’aujourd’hui, onze ans après, la justice vous donne raison, quel est votre sentiment ?
Me Henri Leclerc : Mon sentiment c’est que nous avons perdu beaucoup de temps, que la justice française a perdu beaucoup de temps, fait beaucoup d’efforts pour arriver à ce dont j’étais convaincu depuis le premier jour, à savoir que ce dossier était vide, absolument vide.
L’idée était en définitive de considérer que ceux qui résistaient en Iran étaient forcément des terroristes, et que leur organisation, leur volonté de combattre ne pouvaient déboucher que sur des poursuites pour terrorisme. Or je disais, premièrement, que l’on a raison de résister, et deuxièmement que les actes terroristes, dans les circonstances, il n’y en avait pas. Et il a fallu beaucoup de temps pour y arriver, sans doute par ce que le déclenchement de cette affaire avait des causes plus commerciales et économiques que politiques et que ça a été difficile. Il a fallu que les juges imposent la décision de non-lieu dans cette affaire.
Sima : Vu que vous avez un long passé dans la défense des droits de l’homme et les droits de diverses nations pour l’indépendance et la liberté, je voulais vous demander comment vous comparez ce dossier de la résistance et les moudjahidines avec les dossiers historiques que vous avez défendus ?
Henri Leclerc : bien entendu j’ai défendu des dossiers, y compris en France aussi d’ailleurs quelquefois qui posait des problèmes de défense des droits de l’homme, dans beaucoup de pays aussi, mais là nous étions en face d’un dossier véritablement vide. C’est-à-dire que ce que nous avons quelquefois à juger, ce sont des actes de résistance, des actes de protestation, des actes de manifestations qui existent. Des actes qui sont quelquefois des actes durs, voire violents pour résister à une autre violence qui est la violence d’Etat dictateurs. En la circonstance, le juge français n’avait rien de tout cela. Il supposait seulement. Il avait des dénonciations par le régime des mollahs, ça oui il y avait des dénonciations. Et à mon avis il n’y aurait sans doute rien eu, si à un moment donné le Ministre des affaires étrangères français n’était pas allé en Iran pour passer des contrats commerciaux, l’Iran demandant en retour que l’on arrête les Moudjahidines du peuple. C’est en cela que ce dossier avait quelque chose d’assez original, c’est-à-dire que nous défendions des gens qui défendait des valeurs très importante, mais en même temps les attaques qu’ils avaient commis ou qu’on leur reprochait, n’était même pas sérieusement dénoncé. Il n’y avait rien dans ce dossier. Rien, qu’un soupçon et jusqu’à présent on ne condamne pas les suspects. On ne condamne que les coupables. Et là, ils ont bien été obligés de reconnaître un jour, et je crois que les juges, particulièrement les derniers juges que nous avons eus, on dit que ce n’était plus possible à un moment où, je pense, le gouvernement est devenu plus neutre vis-à-vis de cela. Mais bien entendu ce dossier s’inscrit aussi dans des phénomènes de politique mondiale. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est que dans ce dossier, en rencontrait un comportement qui était presque irrationnel des autorités disant « de toute façon ce sont des gens dangereux ». Pourquoi ? En quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? « On sait que ce sont des gens dangereux. Nous avons beaucoup de choses. C’est une secte. Ils ne respectent pas les libertés individuelles. » Mais donnez nous des exemples. Il n’y avait rien que des ragots ou des rumeurs qui ne tenaient pas debout. Donc je suis très content que la justice française soit arrivée à reconnaître l’innocence des Moudjahidines du peuple.
Sima : Henri Leclerc, le régime iranien a beaucoup profité de ce dossier contre les Achrafiens qui habitent aujourd’hui à Liberty pour les réprimer pendant toutes ces années. Comme vous le savez, immédiatement après la décision judiciaire française la télévision du régime iranien et les médias des gardiens de la révolution ont réagi pour dire notamment : la justice française dans une mesure en faveur des moudjahidines du peuple a prononcé un non-lieu sur un dossier qui durait depuis des années contre l’OMPI. Que pensez-vous de cette réaction, de l’abus qu’en a fait le régime et que pensez-vous de cette violation du droit ?
Henri Leclerc : c’est absurde ! Il n’y a évidemment aucune connivence entre les Moudjahidine du peuple et les juges. Les juges d’instruction français sont des gens particulièrement sévères et ils rendent des décisions qui tardent quelquefois, mais qui ont fini par arriver dans cette affaire. Je crois qu’aujourd’hui les autorités politiques françaises sont neutres. Il faut dire aussi que le problème de l’Iran s’inscrit dans des conditions complexes, dans les problèmes géopolitiques et dans les conflits qui existent actuellement Moyen-Orient, avec de surcroît des interventions directes de l’Occident etc. Donc tout cela pose des problèmes. Et vraiment nos amis de Liberty aujourd’hui doivent tout de même être protégés. Je pense en tout cas que l’ordonnance de non-lieu est de ce côté-là quelque chose de tout à fait positive. C’est-à-dire qu’aujourd’hui on sait qu’après onze ans d’instruction, onze ans de travail, onze ans d’études, qu’aucun fait délictuelle ne peut être reprochés à ceux qui ont été poursuivis dans cette affaire, c’est-à-dire en fait au CNRI et au-delà, aux Moudjahidine du peuple.
Sima : Henri Leclerc, le peuple iranien en général et les Achrafiens en particulier vous remercient profondément, pour votre défense des droits du peuple iranien face à un régime tyrannique et apprécient vos activités. Quel message avez-vous pour eux ?
Henri Leclerc : Cela fait des années que je suis préoccupé par Iran. Je n’y suis jamais allé. Mais, en tant que militant des droits de l’homme, j’ai commencé à me battre pour des amis iraniens au temps du chah. Je me suis battu pour un certain nombre de gens, j’avais ici quelques amis iraniens en exil et nous avons fait beaucoup de choses pour les gens qui étaient torturés et assassinés par la Savak. Alors, nous avons eu un moment d’espoir, il faut bien le dire. Nous avons tous eu un moment d’espoir pour tous ceux qui s’étaient battus à ce moment-là. Et puis nous avons, vu hélas, ce qui s’est passé, c’est-à-dire se mettre en place derrière cette dictature abominable du chah, une autre dictature, celle des mollahs. Nous avons nos amis qui étaient partis d’ici faire la révolution, nous les avons vus assassinés, nous les avons vus disparaître et nous avons vu ceux qui résistaient, ce qui est un droit. Le droit à la résistance à l’oppression est un des quatre droits fondamentaux qui ont été reconnus par la Déclaration des droits de l’homme de notre révolution à nous en 1789. Résister à l’oppression ! J’ai commencé à défendre des gens, je m’en souviens, c’est vieux cela. Et après nous avons eu le problème, souvent des conditions de séjour des réfugiés en France, de l’usage qui ait été fait plusieurs fois par la France de menaces, d’expulsion, d’arrêt de protection, toujours pour des raisons de relations commerciales avec les autorités iraniennes. Et puis nous avons eu cette terrible affaire où les gens ont été emprisonnés dans des conditions absurdes, puisqu’il n’y avait rien contre eux et que nous savions que ce dossier était vide. Nous savions en réalité qu’ils n’étaient pas arrêtés parce qu’ils étaient des terroristes, ils étaient arrêtés parce que leur comportement gênait les activités économiques de la France. Et donc nous nous sommes battus auprès des autorités françaises, nous nous sommes battus surtout auprès des juges. Finalement nous avons été entendus par les juges.
Alors je voudrais dire aux Iraniens résistants que la situation est aujourd’hui difficile, le monde entier tremble un peu, on tremble pour eux aussi. Je veux leur dire premièrement qu’ils n’abandonnent pas ce qui est l’esprit fondamental des droits de l’homme, à savoir ne jamais accepter la tyrannie. La tyrannie n’existe que si les hommes l’acceptent. C’est vrai, elle dure longtemps. C’est vrai, elle se bat. C’est vrai qu’il y a des morts, c’est vrai qu’il y a des moments terribles et difficiles. Mais la tyrannie est sûre de gagner si on ne résiste pas et donc il faut qu’il y ait des gens qui résistent. C’est la première chose. Et la deuxième, c’est que les démocrates du monde, les défenseurs des libertés du monde soutiendront toujours ceux qui résistent.
Et la dernière chose que je peux leur dire, bien que je devienne vieux et que j’ai commencé à lutter pour cela jeune, j’espère bien que j’irai un jour en Iran.