CSDHI – « Je m’appelle Farzad Madadzadeh et j’ai 31 ans. En février 2009 j’ai été arrêté en Iran avec ma sœur Chabnam par les services de renseignements des mollahs. On m’a enfermé en cellule d’isolement dans la terrible section 209 de la prison d’Evine de Téhéran. » Il s’exrimait lors d’une conférence en marge du Conseil des droits humains de l’ONU à Genève.
« J’étais accusé d’être en relation avec l’organisation l’OMPI (la principale opposition démocratique) et d’atteinte à la sécurité de l’Etat, c’est-à-dire d’être opposé au régime des mollahs. J’ai vu de mes yeux tant de crimes du régime et je ne pouvais pas me taire face à cette répression, surtout des jeunes et des femmes.
Dès mon arrivée dans cette section 209, les tortures psychologiques et physiques ont commencé. Pendant sept mois je suis resté dans cette section, dont trois en isolement. Une cellule d’isolement, c’est un endroit où on veut vous tuer de manière indirecte, mais pour les interrogateurs ce n’était pas suffisant, et durant toute la période des interrogatoires, les services de renseignement m’ont tabassé violemment. Chaque soir je m’endormais sans savoir si le lendemain, je verrais le soir tomber.
La mort pour compagne
Chaque jour j’étais confronté à la menace d’être exécuté. C’était quelque chose que les interrogateurs me rappelaient à chaque interrogatoire. La mort était ma compagne de tous les instants ; le pire pour moi restait les menaces et les tortures que subissait ma sœur.
Dès mon arrivée dans la terrible section 209, on m’a tout enlevé et on m’a donné un uniforme et puis on m’a bandé les yeux. C’est une section où on ne peut pas se déplacer sans bandeau sur les yeux et où ce bandeau devient une partie de vous-même.
La cellule d’isolement mesurait 2mX1,5m et la lumière était allumée 24 heures sur 24. C’est seulement par une petite ouverture qu’on sentait le temps passer et qu’il existait aussi un autre monde.
Une cellule d’isolement c’est un endroit où la seule chose qui existe c’est le silence, un silence douloureux et mortel. Quand on est en isolement, c’est comme si on est dans le vide et les choses les plus simples, comme manger, deviennent les plus difficiles. Très souvent, à cause des pressions qui étaient exercées, je n’arrivais pas à manger et j’étais rongé d’inquiétude par ce qui pouvait m’arriver à moi, à ma famille, et surtout à ma sœur. J’étais incapable de penser un instant au lendemain. Je ne savais vraiment pas ce qui allait m’arriver dans l’heure qui suivait, et encore moins le lendemain et les autres lendemains.
D’autre part, les interrogatoires duraient pendant des heures, jusqu’à 12 ou 13 heures d’affilée sous la torture physique, comme des pluies de coups de trois bourreaux des services de renseignements. Et ils m’ont même tabassé devant ma sœur Chabnam. En plus de toutes les pressions qu’ils exerçaient sur moi, j’ai appris par la suite les pressions qu’ils avaient aussi exercées sur ma famille. J’ai appris dans mon premier parloir familial de quelques minutes, trois mois après mon arrestation, qu’en raison de ces pressions, mon père avait perdu un œil.
Après avoir été retardé plusieurs fois, mon procès est arrivé juste un an après mon arrestation. Il a duré quelques minutes sous la présidence du juge Moghissi, un tortionnaire bien connu des années 1980. A cette époque, on le connaissait sous le nom de Nasserian. Au procès il y avait aussi son assistant et deux interrogateurs des services de renseignement qui servaient de témoins. J’ai été condamné à 5 ans de prison et écroué à la prison d’Evine et de Gohardacht.
La torture au quotidien
A la prison de Gohardacht, j’ai été incarcéré pendant plusieurs mois avec des détenus de droit commun et dangereux. Ensuite j’ai été transféré dans la section 4, où on m’a à nouveau interrogé et torturé. En 2011, on m’a ramené en isolement dans la section 209 d’Evine où on m’a encore interrogé et torturé.
Quand j’étais avec les détenus de droit commun à la prison de Gohardacht, on avait droit tous les jours à 2 heures de promenades et les 22 heures restantes, nous étions enfermés dans une salle où toutes les ouvertures étaient bouchées par des plaques métalliques. C’est un endroit difficile à imaginer, et donc c’est encore plus difficile d’y vivre, surtout trois ans, sans le moindre contact téléphonique, même d’une minute. Le seul moyen d’avoir un contact extérieur, c’était les parloirs hebdomadaires qui se déroulaient en cabine pendant 20 minutes si tout allait bien.
A propos de la nourriture en prison, tous ceux qui en mangeaient, même pendant une courte période, tombaient malades et n’en guérissaient pas, comme moi qui souffre toujours de maladies de l’appareil digestif.
De redoutables anniversaires
A la prison de Gohardacht, il y avait des jeunes de 13 ou 14 ans qui a cause d’une erreur d’enfance avait été arrêtés et qui passaient des années sous le coup d’une condamnation à mort. Chaque matin ils se réveillaient sans savoir s’il y aurait un lendemain ou si ce serait leur dernier matin. Ils grandissaient en prison pour y mourir et non pour vivre. Le jour de leur anniversaire était le pire des jours, parce qu’il les rapprochait de la date de leur exécution.
Cela fait 38 ans que le peuple iranien vit ses jours les plus sombres. Dès le lendemain de son arrivée au pouvoir, le régime a commencé à commettre des crimes et à réprimer. Je pense que tout le monde le sait. Malheureusement, beaucoup de gens ont fermé les yeux sur ces violations des droits humains, ce qui a permis aux mollahs de poursuivre ces crimes.
Mes meilleurs amis exécutés
Au cours de ces cinq années dans les prisons du régime des mollahs, beaucoup de mes meilleurs amis ont été exécutés ou sont morts sous la torture. Des amis comme Ali Saremi, Jaffar Kazemi, Mohammad Ali Hadj-Aghaï, Farhad Vakili, Farzad Kamangar, Mohsen Dogmetchi, Mansour Radpour et Chahrokh Zamani.
Ali Saremi était un sympathisant des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), qui a passé 23 années de sa vie dans les prisons du régime des mollahs sous des tortures sauvages. Cependant il n’a jamais perdu son espoir dans la liberté. Son crime était d’avoir assisté à la commémoration du massacre des prisonniers politiques de 1988 au cimetière de Khavaran à Téhéran et d’avoir dénoncé ce crime contre l’humanité du régime.
Le cimetière de Khavaran est désormais connu du monde entier. C’est là où ont été enterrés par groupes entiers, les prisonniers massacrés durant l’été 1988. Ali Saremi a été arrêté et emprisonné pour avoir salué la mémoire de ces martyrs et avoir vu leurs familles. Et c’est en 2010 qu’il a été exécuté.
Un peu partout en Iran, il existe de nombreux cimetières comme Khavaran qui n’ont pas été découverts ou qui ont été identifiés et révélés par les familles et la population.
Les Iraniens n’ont pas oublié le massacre de 1988
Les années 1980 en Iran et surtout l’été 1988, ont été une des périodes les plus sombres de l’histoire de notre pays, quand avec sa fatwa, Khomeiny a ordonné l’exécution de plus de 30.000 prisonniers politiques. 28 ans ont passé et on ne sait toujours pas le nombre exact des victimes ni où elles ont été enterrées. Si quelqu’un en Iran cherche à savoir, soit il se retrouve en prison soit il est exécuté.
Mais cet été 1988 n’a pas été oublié par la population et surtout par les jeunes, car les Iraniens recherchent des réponses à leurs questions. La seule demande de la population et des jeunes et de donner le chiffre exact des victimes du massacre et d’en faire juger les auteurs et les responsables.
Comme vous le savez, l’an dernier 28 ans après ce massacre, un fichier audio de M. Montazeri, alors dauphin de Khomeiny, a été rendu public. Dans ce fichier on entend une commission de la mort (des juges qui exécutaient les prisonniers politiques) qui parle clairement du massacre en cours. Ces juges sont encore aujourd’hui au pouvoir et se disent fiers d’avoir tué autant de personnes, comme Mostafa Pour-Mohammadi qui est ministre de la Justice du gouvernement soi-disant modéré de Rohani et qui continue à commettre des crimes.
Ce que je demande à la communauté internationale, en particulier au conseil des droits humains de l’ONU et à Mme Asma Jahangir, la rapporteure spéciale sur les droits humains en Iran, c’est de s’engager dans ce dossier et de faire en sorte que ce régime responsable du massacre de 30.000 personnes soit traduit en justice. Le peuple iranien et les familles des victimes veulent que leur cri et leur appel à la justice soit entendu. Vous pouvez aider à faire entendre ce cri et à faire juger ces criminels pour que ce massacre ne se répète pas.