Reportage
TÉHÉRAN ENVOYÉE SPÉCIALE
LE MONDE - a photo a fait le tour du monde. C'était celle d'un grand et beau jeune homme de 20 ans, brandissant le T-shirt ensanglanté de l'un de ses camarades. Elle est devenue le symbole de la lutte des étudiants iraniens et de la dure répression qui a suivi, en juillet 1999, à l'université de Téhéran.
Une photo qu'Ahmad Batebi n'a toujours pas fini de "payer". Celui qui n'était qu'un "simple étudiant", racontent ses proches, sportif, ouvert, acteur à ses heures, sera arrêté alors qu'il aidait à évacuer les étudiants blessés. Il n'avait sur lui aucune arme d'aucune sorte. Interné à la prison d'Evin, à Téhéran, il est interrogé sans relâche, battu, torturé. Un coup de pied en plein visage lui brise même les dents. Ce qui lui a laissé de sérieux problèmes de dos, de reins et une grande fragilité nerveuse. Il sera condamné à mort pour "subversion et sédition contre Dieu". Un verdict si peu fondé que le Guide suprême de la révolution, Ali Khamenei, interviendra pour commuer la peine à 15 ans de réclusion, réduite ensuite à dix ans.
Il obtient enfin une permission de sortie et se marie en 2005, puis ne revient pas en prison. "Il n'y a rien contre lui, explique son avocat, alors il a fait savoir aux autorités : "je n'ai rien fait, vous le savez, je ne rentre plus à la prison"." Rien ne se passe pendant des mois. Et puis Ahmad Batebi, qui reprenait peu à peu une vie normale, parle à la presse étrangère, échange des mails. Arrêté à nouveau il y a huit mois, il est placé en cellule de haute sécurité plusieurs mois à la prison d'Evin, dans la section 209, cette "prison dans la prison" à la discrétion des services secrets. Plus tard, des informations alarmantes filtrent : il aurait eu une attaque cérébrale et perdrait souvent connaissance. Ses parents craignent pour sa vie, un autre étudiant, Akbar Mohammadi, est déjà mort en prison, en juillet 2006, dans des circonstances suspectes.
"HUIT ANS D'INTERROGATOIRES"
Assis très droit, mains croisées sur les genoux, le père d'Ahmad, Mohammad Bagher, un employé des douanes à la retraite, n'a plus rien à perdre. "Je n'ai jamais fait de politique, dit-il d'une voix contenue, j'ai toujours été un bon citoyen, je demande juste un peu de pitié et de justice pour mon fils. Que veulent-ils ? Le tuer ? Que peuvent-ils apprendre de plus de lui, après huit ans d'interrogatoires ?" Et de raconter sa dernière entrevue avec son fils : "C'était il y a une dizaine de jours à l'hôpital Shohada, à Téhéran, il était menotté sur un lit, avec des chaînes aux chevilles, inconscient." A l'hôpital, on refuse de dire de quoi souffre le jeune homme. Il sera renvoyé en prison avant d'avoir fini les examens médicaux. Le médecin de famille, venu apporter des médicaments, sera emprisonné pour cela.
A-t-il subi des pressions ? Mohammad Bagher hausse les épaules : "Ils m'ont dit : dis à ton fils de se taire et tais-toi. Je n'ai pas peur : qu'ils me disent ce qu'il a et le soignent et je me tairai. Ma femme est détruite." Et il ajoute, sans plus cacher son émotion : "Ce n'était qu'un gamin, ils en ont fait eux-mêmes un héros et ne savent comment s'en sortir : qu'ils le laissent vivre tout simplement…"
Marie-Claude Decamps