CSDHI – Dans un livre de souvenirs de ses années passées dans les prisons des mollahs en Iran dans les années 1980, l’infirmière Hengameh Haj-Hassan raconte des scènes de sauvageries qui n’ont d’égales que l’héroïsme des résistantes détenues. Même s’il plonge les lecteurs dans les ténèbres de l’intégrisme islamiste, son récit « Face à la Bête »* laisse un goût de résistance et de moral élevé non dénué d’humour qui caractérise les prisonnières politiques en Iran.
En voici un extrait :
« Il y avait parmi nous des détenues qui tous les jours avaient droit à une ration de fouet, c’est-à-dire que chaque soir, on les emmenait à l’interrogatoire et on leur fouettait la plante des pieds jusqu’au petit matin. Puis on nous les renvoyait, les pieds en sang et enflés. Alors les filles, à tour de rôle, leur massaient les pieds pour soulager la douleur et l’œdème. La fois suivante, la souffrance serait moins atroce et l’apparition des plaies serait retardée.
La ration de fouet est une des pires tortures, parce que cela semble sans fin. Chaque jour apporte son lot précis de coups de fouet. Quand cela se répète inlassablement et que la mèche du fouet vient mordre les blessures de la veille, il faut avoir la force d’une montagne pour résister.
Dans notre unité, il y avait deux filles qui avaient des rations de fouet. Elles s’appelaient Mina Izadi et Zahra Chab-Zendeh-Dar. Je ne sais pas pourquoi les pasdaran avaient décidé que chaque soir, ils devaient les torturer.
Mina était une jeune fille de taille moyenne, cheveux châtain plutôt clair et pleine de taches de rousseur. Malgré sa ration quotidienne de fouet, elle riait tout le temps, plaisantait avec les filles et ne laissait pas la torture de la nuit rejaillir sur les autres.
Zahra, elle aussi étudiante, était très résistante. Lors de la promenade, elle sautillait doucement pour diminuer l’œdème de ses pieds. Elle se préparait pour la prochaine volée de fouet et disait avec aplomb : « Ce tortionnaire est un imbécile, franchement idiot. Il pense qu’avec des coups de câbles, il peut nous forcer à renier notre combat. Il ne comprendra donc jamais que c’est impossible ? On dirait qu’il est condamné à vivre éternellement dans l’ignorance. C’est pour cela que je dis que c’est un imbécile. Le régime recherche surement ce genre d’individu. Je pense que des idiots pareils sont des perles rares. »
Le mois de ramadan est arrivé en prison. Nous espérions qu’en raison du caractère sacré de ce mois, nos tortionnaires interrompraient les rations de fouet de Mina et de Zahra. Mais ce ne fut pas le cas. Il était clair que nous ne connaissions pas ces sauvages et que nous savions encore moins comment la religion opérait en eux. La religion en laquelle Khomeiny et ses monstres croyaient, ne frôlait jamais la miséricorde ou l’amour. La religion et la foi des mollahs ne prônaient que la haine et la cruauté, ce qui facilitait la voie vers la torture pour leurs partisans.
C’est ainsi qu’ils venaient chercher Zahra et Mina juste au moment de la rupture du jeûne et ils ne les renvoyaient qu’à l’aube. Nous attendions avec inquiétude leur retour en espérant qu’elles arriveraient à temps pour prendre leur repas, juste avant la levée du jour qui marque le début du jeûne. Mais lorsqu’elles rentraient les pieds enflés, les yeux creusés, les lèvres sèches et le visage pâle, elles n’avaient plus la force de manger et, dès qu’elles s’asseyaient, la fatigue de la torture les faisait sombrer.
Ils ont exécuté Mina en 1982 et Zahra lors du massacre de 30.000 prisonniers politiques en 1988.
Face à la Bête, de Hengameh Haj-Hassan, ed. Jean Picollec