CSDHI, 13 août 2018 – Le régime iranien a réussi à réprimer avec succès toute forme de dissension qui ne respecte pas les règles non écrites des jeux de pouvoir joués au sein des institutions politiques iraniennes.
Il existe toujours une ligne invisible, mais néanmoins prépondérante, entre ce qu’ils appellent des « griefs légitimes » et l’opposition à l’ensemble du système.
Le concept de la répression intelligente n’est pas nouveau. À travers l’histoire, les dictateurs, avec l’aide de leurs défenseurs à l’intérieur et à l’extérieur du pays, l’ont maîtrisée dans les moindres détails. La politique d’apaisement de la Grande-Bretagne envers l’Allemagne nazie dans la lutte pour le pouvoir qui a mené à la Seconde Guerre mondiale en est un exemple éloquent.
Mais ce qui a tenues les récentes manifestations populaires en Iran depuis décembre 2017, à l’écart de ces tactiques est la manière intelligente dont le peuple iranien tient son rôle.
Les manifestants des différents groupes ethniques et économiques et de lieux physiquement sans liens à travers le pays jouent une course de relais contre les tactiques de répression du régime iranien. Alors que le gouvernement parvient à prendre le contrôle d’une certaine ville ou quartier, les manifestants d’une autre ville commencent une nouvelle série de manifestations comme s’ils avaient pris le témoin de la lutte pour la liberté et la démocratie.
« Mort au dictateur » est le nouveau chant des stades
Le 10 août, un match de football populaire entre les équipes de Tabriz et de Téhéran s’est transformé en manifestation et les spectateurs du stade Azadi de Téhéran ont scandé : « Mort au dictateur ! »
Les matches entre les deux équipes sont historiquement chargées. La population de Tabriz est composée d’azaris et le régime iranien les manipule pour semer les graines des affrontements ethniques entre les azaris et la population de Fars. Diviser pour mieux régner, comme le dit le mantra, est l’une des plus anciennes tactiques d’une politique de répression intelligente.
Et la cerise sur le gâteau de la solidarité ethnique face au changement de régime : les Azaris présents au match ont chanté une belle chanson dans leur langue natale azarie à la fin du match : « Tout l’Iran est ma patrie ; vive l’Azerbaïdjan ».
24 heures plus tard, des vidéos trafiquées du match où on entend des chants azaris qui insultent les perses ont été diffusées sur les réseaux sociaux. C’était la réaction du ministère du renseignement iranien contre ce qui s’était réellement passé dans le stade : la solidarité entre les différentes ethnies contre l’ensemble du régime.
Grève au bazar de Téhéran
Le lendemain, samedi 11 août, les commerçants du marché aux chaussures de Téhéran ont fermé leurs magasins pour protester contre les prix élevés et le manque d’accès aux produits de base nécessaires à leur travail. Les agents de renseignement étaient sur le terrain pour tenter de dissuader les commerçants de fermer leur entreprise en les menaçant et en leur faisant des promesses.
La grève du bazar des chaussures à Téhéran s’est poursuivie aujourd’hui avec des marchands scandant « Mort aux prix élevés » et « Mort au dictateur ».
Grève dans les chemins de fer iraniens
Le 11 août, le Conseil de l’Organisation des cheminots a publié une déclaration selon laquelle leur grève, déclenchée il y a plus de deux semaines, se poursuivra jusqu’à ce qu’ils reçoivent leurs salaires impayés.
Autres cas récents de grèves et de manifestations
Le 8 août, les producteurs de betteraves ont manifesté dans l’usine de sucre de Naqadeh pour réclamer leurs paiements. Les autorités iraniennes ont répondu qu’il n’y avait pas d’argent en ce moment.
Des appels fréquents à la grève et des manifestations sur les médias sociaux
Les médias sociaux sont l’une des rares chaînes publiques en Iran où les iraniens peuvent exprimer leur désaccord et protester contre le régime iranien sans crainte de représailles. De nombreux iraniens ont des comptes anonymes sur les médias sociaux où ils parlent librement contre le régime iranien et invitent leurs concitoyens à faire grève et à protester.
Il convient de mentionner que les principales plateformes de médias sociaux, à l’exception d’Instagram, sont filtrées en Iran. Facebook et Twitter sont interdits depuis les élections de 2009. Telegram, une application de messagerie et de médias sociaux, très populaire en Iran avec plus de 40 millions d’utilisateurs, a été récemment interdite par le gouvernement « modéré » d’Hassan Rohani.
Alors que la plupart des campagnes sur les réseaux sociaux ne mènent pas à de véritables manifestations et à des grèves sur le terrain, elles maintiennent les forces du régime occupées par les mesures de prévention. Le déploiement quotidien de forces anti-émeutes et leur maintien sur le terrain les usent physiquement et mentalement.
Des photos de soldats avec des brûlures et des pieds boursouflés font le tour des réseaux sociaux iraniens ces jours-ci. Certains soldats et commandants vont jusqu’à envoyer des messages aux militants des médias sociaux leur demandant de poursuivre les invitations. Leur raisonnement : ils ne peuvent pas rester en alerte et les troupes en ont marre de parcourir les rues.
Dernières pensées
La diversité des manifestations, en termes d’ethnicité, de lieu, de type de contestation et de contexte économique des manifestants, associée à une économie en chute libre, est ce qui rend possible ce type de protestation intelligente. Cette fois-ci, il semble que le type de répression du régime iranien, associé au faux espoir de modération, ne soit plus rentable, ce qui mène à un dilemme : il faut choisir entre montrer son vrai visage meurtrier ou reculer et tomber dans la tombe.
Espérons un Iran libre et démocratique dans un avenir proche où une économie prospère ouvrira la voie aux générations futures.