Daniel Bolomey
letemps.ch – Daniel Bolomey, secrétaire général de la Section suisse d’Amnesty International, interpelle le président de la Confédération au sujet de l’exécution d’une jeune femme en Iran, mineure au moment des faits qui lui sont reprochés
Monsieur le Président de la Confédération,
Est-ce que l’exécution de Delara Darabi vous empêche de dormir? Connaissiez-vous seulement son nom? Si ce n’est pas le cas, je vais vous aider.
Delara Darabi a été exécutée vendredi 1er mai au matin, à la prison centrale de Rasht, en Iran. Il s’agit de la deuxième exécution, cette année, d’une personne âgée de moins de 18 ans au moment des faits qui lui sont reprochés. Deux autres jeunes risquaient d’être exécutés mercredi, mais cela a heureusement été reporté. Ils pourraient hélas connaître prochainement le même sort que la jeune Delara.
J’espère que cela vous touche, vous qui avez fait récemment la connaissance du président iranien, lors d’un repas controversé à Genève, à l’occasion de la Conférence mondiale contre le racisme. Les agapes diplomatiques ne me choquent pas. Il y a toujours de bonnes raisons de ne pas couper les ponts, y compris avec les pires tyrans. C’est ce qu’Amnesty International a appris au cours de bientôt cinquante ans de lutte contre les violations des droits humains. Mais cela ne justifie jamais de mettre le genou à terre. Or, même en terrain diplomatique, ne pas dire à son interlocuteur ce que nous pensons et ce que nous défendons, c’est plier. Surtout lorsque lui-même ne se gêne pas d’utiliser la tribune des Nations unies pour des déclarations inacceptables, et même d’utiliser abusivement vos propos à des fins personnelles.
Malgré le fait que je sois confronté chaque jour avec des dossiers lourds et souvent durs, je dois avouer que la nouvelle de l’exécution de la jeune femme m’a bouleversé. A cause de son jeune âge tout d’ abord, mais aussi parce qu’elle a été exécutée alors que le responsable du pouvoir judiciaire en Iran lui avait accordé un sursis de deux mois le 19 avril. Cette date, Monsieur le Président, en êtes- vous conscient, était celle de votre rencontre à Genève avec Mahmoud Ahmadinejad. Ceci montre que, dans les provinces, les décisions de la plus haute instance judiciaire du pays n’ont aucun poids et ne sont pas prises en compte. Mais cela induit surtout le soupçon qu’il aurait été malvenu de placer votre repas et l’ intervention du président iranien à la tribune des Nations unies sous le signe de la barbarie d’une exécution.
Vous devez savoir que Delara Darabi avait été reconnue coupable du meurtre d’une personne de sa famille en 2003 alors qu’elle avait 17 ans. Elle a d’abord avoué le meurtre, pensant qu’elle pouvait épargner la potence à son petit ami, puis elle est revenue sur ses aveux. Détenue à la prison de Rasht dans le nord de l’Iran depuis son arrestation en 2003, elle y avait développé un talent indéniable pour la peinture.
La jeune femme n’a pas bénéficié d’un procès équitable, les tribunaux ayant refusé après le jugement d’examiner des éléments qui prouvaient, selon son avocat, qu’elle ne pouvait pas avoir commis le meurtre.
Et comble de cynisme, l’exécution de Delara Darabi a eu lieu à l’ insu de l’avocat de la jeune femme alors qu’il doit, légalement, être informé quarante-huit heures à l’avance. Cette décision des autorités semble avoir été motivée par le désir d’éviter un mouvement de protestation en Iran et à l’étranger qui aurait pu sauver Delara Darabi.
Nos efforts et notre campagne mondiale en sa faveur – et notamment la mobilisation de milliers de personnes en Suisse qui ont écrit aux autorités iraniennes – auront été vains pour sauver sa jeune vie. Espérons que cela ne le soit pas complètement. Et pour ce faire, votre intervention est décisive. Nous attendons de vous une protestation ferme et publique. Nous attendons des contacts que vous avez noués avec le président Ahmadinejad qu’ils servent à lui demander des explications sur cette exécution réalisée au mépris des lois iraniennes et du droit international qui interdit sans équivoque la condamnation à mort de personnes accusées de crimes commis alors qu’elles étaient âgées de moins de 18 ans.
Vous vous référerez peut-être, dans votre réponse, au dialogue sur les droits humains que la Suisse tente, à juste titre, de conduire avec l’Iran et à son caractère confidentiel. Sachez que le dialogue n’ interdit pas la prise de position ferme et publique, lorsque l’ inacceptable se produit, telle la mort de Delara.
Nous osons espérer que Delara n’est pas morte pour rien et que la ronde infernale des exécutions de mineurs délinquants en Iran – au moins 42 depuis 1990 et 137 autres qui attendent leur exécution – prendra fin. Vous devez nous aider à y parvenir car nous sommes convaincus que vous partagez nos valeurs de justice et d’équité. Votre responsabilité morale est en jeu. Merci de faire en sorte que la Suisse ne s’humilie pas aux yeux du monde en restant silencieuse.