The New York Times- le 20 août 2012 – Tandis que leur convoi de véhicules personnels roulait vers le nord le long de l’autoroute Téhéran-Tabriz, suivant les cinq camions qu’ils avaient remplis de matériel de secours pour les victimes du tremblement de terre meurtrier qui a frappé deux fois le nord de l’Iran ce mois-ci, un groupe de jeunes Iraniens, un mélange de beatniks, membres d’un club autocross et issus de familles aisées, se sentaient comme les rebelles d’une cause à défendre.
Varzaghan a été un épicentre des deux tremblements de terre.
Aucun des passagers ne semblait savoir exactement comment cela avait commencé ni se rappelait comment ils s’étaient rencontrés ces derniers jours passés sans dormir. Ils se sont liés d’amitié dans les longues files sur le parking d’un bâtiment privé, longeant des box remplis de couvertures et de jouets.
Stimulés par la colère face aux nombreuses accusations selon lesquelles les organisations de secours officielles iraniennes n’avaient pas suffisamment aidé les survivants, avec des centaines d’autres, ils ont spontanément organisé un effort caritatif en 48 heures en utilisant des sms, Facebook et des appels téléphoniques pour collecter de l’argent et des marchandises.
Mais au lieu de remettre leur collecte au Croissant-Rouge iranien qui est proche du gouvernement, comme les autorités l’avaient demandé aux médias officiels, ces jeunes étaient déterminés à transporter eux-mêmes leur collecte dans les villages de montagne les plus reculés ravagés par le séisme qui a frappé, une zone rurale du pays, turcophone. Plus de 300 personnes ont été tuées et des milliers sont sans-abri.
« Nous recevons ce soutien parce que les gens nous font confiance pour apporter l’aide directement aux victimes », a déclaré Pouria, 31 ans, qui voyageait sur le siège passager du véhicule de sport de son ami.
Comme les autres personnes interviewées pour cet article, il a demandé que son nom de famille ne soit pas mentionné. Mais les jeunes iraniens ont accepté que des photos soient prises de leur voyage de 15 heures de Téhéran à la zone sinistrée et de leur distribution des marchandises.
En Iran, où l’État est impliqué dans toutes les couches de la société, il est exceptionnel pour un groupe de jeunes d’organiser un effort collectif de secours dans le cas d’une catastrophe.
Pouria, directeur de bureau doté d’une large carrure, dit qu’il a fait un voyage similaire en 2003 à Bam, une ville du sud, où un puissant séisme avait fait 25.000 morts, dont beaucoup avaient été ensevelis sous les décombres. Après les dons internationaux pour apporter de l’aide, Pouria a dit qu’il avait vu disparaître une grande quantité de cet argent dans des poches mal intentionnées.
Pouria a rappelé à sa femme que « Bam m’a servi de leçon », quand il a appris les tremblements de terre de ce mois. « Nous, les simple gens, nous devons prendre des initiatives ».
Son sentiment a trouvé écho dans les doutes exprimés par de nombreux Iraniens, même de hauts dirigeants et des députés, sur la capacité des organisations de secours officielles. Des députés de la région frappée par le séisme se sont plaints de pénurie aux agences de presse iraniennes. Le Parlement a demandé une audition du directeur du Croissant Rouge.
Jeudi, le guide suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khamenei, a visité la zone sinistrée et appelé le gouvernement à redoubler d’efforts pour envoyer des secours. Plus tard, il est allé plus loin, approuvant le type de d’aide privée que des membres du convoi avaient entrepris, mais ils n’en ont rien su.
Au moment où le convoi s’est arrêté à mi-chemin dans les heures sombres de la matinée de vendredi, il est venu à l’esprit de tout le groupe, environ deux dizaines d’hommes et de femmes dans les 20 et 30 ans, que leurs plans ambitieux les avait mis dans une position difficile.
Ils n’avaient pas d’autorisation officielle spéciale, si ce n’est un papier disant que 12 de leurs voitures appartenaient à un club autocross officiellement enregistré.
Ils craignaient que les forces de sécurité ne saisissent les secours pour les distribuer, et des informations non confirmées faisaient état de troubles dans certains villages.
Alors qu’ils écoutaient les briefings de deux hommes qui émergeaient comme leurs chefs de fils officieux, il devenait évident qu’ils devaient faire un choix : soit s’en tenir à leur plan de distribuer eux-mêmes l’aide, soit coopérer avec les autorités locales.
« Nous le devons à ceux qui nous ont donné de l’argent pour s’assurer que ce secours parvienne bien à ceux qui en ont vraiment besoin», a déclaré Hossein, 27 ans, président du club. « C’est ce qui compte ».
Presque tout le monde a approuvé de la tête.
« Je suggère que nous travaillions avec le Croissant-Rouge, après tout », a suggéré Hamed, 34 ans, fils d’un patron d’usine. « Ils savent ce qu’ils font ». Comme ça s’est avéré, les trois amis qui étaient assis dans sa Lexus importée, étaient effectivement bénévoles de l’organisation.
« Ils ont de l’expérience dans la gestion des catastrophes ; pas vous », a déclaré Hamed.
«Nous devons agir vite. Les gens ont froid et ont besoin de couvertures ».
Avant qu’Hamed démarre à toute vitesse, ses amis et lui ont mis des gilets spéciaux avec le logo du Croissant-Rouge et ont placé une lampe de poche rouge sur leur toit. « Rendez-vous là-bas », a-t-il lancé au reste du groupe, qui roulait principalement dans de vieux véhicules.
Fatigués et les yeux rouges, les membres du convoi ont atteint la région de Varzaghan, l’un des épicentres des deux tremblements de terre.
Dispersés sur les collines à l’endroit où le vent soufflait dans les champs de blé, plusieurs villages étaient en ruines. Un fermier trayait sa vache alors qu’un cortège funèbre traversait un chemin poussiéreux à proximité. Les tentes blanches fournies par le Croissant-Rouge étaient dressées partout. «S’il vous plaît, pas davantage d’eau », a déclaré un villageois, tandis que des membres du groupe commençaient à distribuer des bouteilles d’eau. « Nous en avons tellement que nous la donnons à boire à nos moutons ».
Les membres du convoi ont passé la matinée à la recherche de personnes qui avaient besoin d’aide. Ce fut une scène chaotique quand Hamed et ses amis ont ouvert l’un des camions dans le village de Kivi et que les habitants se piétinaient pour obtenir des lampes de poche et des serviettes hygiéniques féminines. Hossein est parti seul avec un autre camion rempli de médicaments pour les remettre à une clinique locale, ce qui a poussé le reste du groupe à se plaindre qu’il ne les avait pas consultés au préalable.
« Bien sûr, nous sommes confrontés à des problèmes », a déclaré Pouria, la sueur dégoulinant sur son visage, alors qu’il marchait parmi des maisons détruites dans un nuage de poussière. «C’est une nouvelle expérience pour nous tous ».
Au coucher du soleil, après qu’un propriétaire d’une usine locale leur ait offert de quoi passer la nuit, les frustrations ont explosé. Hamed a commencé à hurler contre Hossein, les deux hommes d’injuriant, se poussant et se bousculant, pour finalement se serrer la main en acceptant leur désaccord.
Hamed et ses amis du Croissant-Rouge ont quitté le reste du groupe avec une montagne de lait en boîte pour bébé, des couvertures et des vêtements. « Nous, les Iraniens, nous ne nous comprenons pas les uns les autres », a dit Pouria, en soupirant, « mais nous nous aimons ».
Le lendemain matin, samedi, après une certaine introspection, un thé et des débats houleux sur les talents organisationnels improvisés des Iraniens, il a été décidé qu’ils s’en tiendraient au plan initial. Les marchandises ont été réparties entre les véhicules du club et deux groupes se sont dirigés sur les routes désertes et cahoteuses du nord de l’Iran.
Après des heures de conduite, parfois accompagnés de chevaux sauvages et d’ aigles volant très haut, Pouria et son groupe ont tout distribué aux villageois désespérés et aux bergers, dont la plupart ne parlaient que dans le dialecte turc local.
Certains n’avaient jamais rencontré des gens de la capitale. Aucune force de sécurité ne les a arrêtés et ils ont été chaleureusement accueillis partout. Dans l’après-midi, après avoir visité quatre villages, une femme est venue vers Ida, 27 ans, modiste, pour la remercier des nouveaux sous-vêtements qu’elle lui avait donnés dans la matinée. « Dieu vous bénisse d’être venue jusqu’ici », a soufflé la femme. « J’ai finalement réussi à me laver et ces vêtements frais représentent un monde pour moi ». Pouria dit qu’il se sentait fier de sa génération, souvent qualifiée de génération perdue, car ils ont peu de possibilités, face aux sanctions internationales contre l’Iran et aux règles de plus en plus strictes imposées par l’État. « En organisant notre propre convoi d’aide, nous avons montré que nous pouvions nous-mêmes gérer », a-t-il dit. « Nous n’avons pas besoin des autres pour nous dire ce qu’il faut faire ».