CSDHI – C’est une lettre qui arrive de la prison de Gohardacht, en Iran, un pénitencier tentaculaire dans la banlieue de Téhéran. Les prisonniers l’ont baptisée l’abattoir, tant on y exécute en groupe. Le 2 aout, c’était 25 prisonniers politiques sunnites qui y étaient pendus ensemble.
C’est pour dire que cette lettre est envoyée du fond de l’enfer. Elle a été écrite par Reza Akbari Monfared, prisonnier politique.
Reza réagit aux déclarations du ministre de la Justice de Rohani, Pour-Mohammadi, qui se dit fier d’avoir mis en oeuvre le massacre de 30.000 prisonniers politiques sur ordre de Khomeiny durant l’été 1988 et qui menace de le refaire pour ceux qui dénoncent ce génocide. Un crime contre l’humanité. Reza et une de ses soeurs, Maryam, sont actuellement en prison pour délit de parenté avec des opposants à la dictature.
Un récit qui glace d’horreur : « Moi qui ait perdu tous les miens, je ne me perdrai pas dans des considérations. De quoi veulent-ils me faire peur ? Ils ont massacré ma soeur et mes frères, et ma mère en est morte en faisant une crise cardiaque. Je n’ai plus rien à perdre.
Pour donner une idée de l’ampleur de ce massacre, et en me limitant à ma famille, je vais faire un rappel.
Dix ans de prison pour un deuil
Mon frère Ali-Reza a été arrêté le 11 septembre 1981 et fusillé sept jours plus tard. Ils n’ont jamais rendu son corps. Au bout de quelques temps, ils nous ont montré un morceau de pierre dans la parcelle 85 du cimetière de Behecht-e-Zahra (à Téhéran), et ils nous ont dit : « il est enterré là. »
Alors on a organisé une petite cérémonie funéraire à la maison, parce qu’on n’a même pas eu l’autorisation de le faire à la mosquée. Un type du nom d’Akbar Khoch-Gouch du Komiteh de Nazi-Abad a lancé un raid avec des hommes du Komiteh sur notre maison.
Ils ont arrêté toute la famille et l’ont emmenée à la prison d’Evine. Et après des mois, ils en ont libérés, comme ma mère au bout de 5 mois.
Mais ma soeur, Roghieh, qui avait été arrêtée dans cette cérémonie, a été condamnée à dix ans de prison uniquement pour cela. En 1988, alors qu’elle avait purgé sept années de prison, ils l’ont exécutée sur ordre de la fatwa de massacre lancée par Khomeiny.
Roghieh, Ali-Reza, Gholam-Reza et Abdol-Reza
On a retrouvé la trace de mon autre frère Gholam Reza, qui était couturier, après plusieurs mois sans nouvelles, en 1983 à la prison d’Evine. L’année suivante, sans que l’on nous restitue son corps, à nouveau on nous a montré un morceau de pierre dans la parcelle 106 de Behecht-e-Zahra et on nous a assuré qu’il y avait été enterré. On n’a jamais su si c’était vrai.
Mon petit frère Abdolreza, qui début mai 1981, avant même (la grande manifestation pacifique) du 20 juin 1981 (qui avait déclenché les vagues d’exécutions), avait été arrêté pour avoir vendu un journal dans le quartier de Khazaneh de Téhéran. Il a été condamné à trois ans de prison. Mais après avoir purgé sa peine, non seulement il n’a pas été libéré, mais de manière tout à fait illégale, il est resté quatre années de plus en prison.
Lui et ma soeur ont été emportés par la fatwa de mort de 1988. Ma soeur aussi avait été arrêtée en 1981. Ils ont tous les deux été exécutés.
Cette fois aussi, non seulement ils n’ont pas rendu les corps, mais ils n’ont pas indiqué de tombe non plus. Par contre ils ont durement menacé mon père et lui ont ordonné d’annoncer qu’ils étaient décédés de mort naturelle en prison. Peut-être qu’alors, ils feraient preuve de clémence et indiqueraient le lieu de sépulture. Mais ils ne l’ont jamais fait. Et cela fait 28 ans que nous ne savons pas où ils sont enterrés.
Nous n’avons pas peur
Et voilà que ce criminel de Pour-Mohammadi menace de nouveaux massacres. Tenu par la promesse faite aux miens, et à mes frères et soeur innocents et massacrés, je dis à ce criminel de Pour-Mohammadi, qu’il a tué quatre innocents juste dans ma famille. Moi je suis à Gohardacht et ma soeur Maryam est aussi en prison.
Mais pour lui, être innocent ou coupable n’a aucune importance et il exécute quand il en a besoin. Mais si le massacre de 1988 et le massacre actuel auquel on assiste dans tout l’Iran, n’a toujours pas poussé le monde à réagir, en tant que survivants et si cea s’avère nécessaire pour dénoncer ce massacre et ouvrir les yeux du peuple iranien et du monde, ma soeur et moi nous sommes prêts à être pendus, nous n’avons pas peur. Peut-être ainsi honorerons-nous une infime parcelle de notre devoir vis-à-vis de ce sang versé innocent.
Ainsi, au jour du Jugement dernier, aurons-nous quelque chose à dire et notre sang criera que les crimes de ces meurtriers de la commission de la mort n’ont aucun rapport avec l’islam, ni avec le Prophète de l’islam. »
Reza et Maryam Akbari Monfared (en bas),
en haut les quatre membres de la famille, victimes des exécutions