INDEPENDENT (GB) – Un représentant du Royaume-Uni était présent lors de la visite en Iran des ailes dans lesquelles sont détenus les prisonniers les plus aisés, tandis que l’employée humanitaire irano-britannique, Nazanin Zaghari Ratcliffe, se languit dans un bâtiment, tout près.
La semaine dernière, les autorités iraniennes ont organisé une rare visite internationale dans l’un des lieux de détention les plus infâmes du pays : la prison d’Evine à Téhéran.
Cette visite n’a pas été organisée pour un expert pénitentiaire international ou un organisme des droits humains. Elle concernait les représentants de plus de 40 missions diplomatiques étrangères d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Le Royaume-Uni y avait un représentant.
Certains secteurs limités de la prison ont été montrés aux délégués étrangers, et il y a eu une table ronde, organisée à l’extérieur dans un jardin luxuriant. Des photos ont été mises en circulation où l’on peut voir les drapeaux des différents pays posés sur des tables en plein air, notamment l’Union Jack. Selon les normes des réunions diplomatiques, tout semble plutôt idyllique.
Mais pour quoi ? Pour les autorités iraniennes, c’était très clairement une opération de relations publiques. Dans les jours qui ont suivi la visite, les médias officiels iraniens ont été inondés d’histoires sur les prétendues conditions de détention modernes d’Evine. Les « excellentes installations » ont été montrées, y compris un salon de beauté, une salle de gym, une bibliothèque et même un restaurant. Et les articles présentaient des commentaires de félicitations de la part des délégués indiens, indonésiens, portugais et sud-coréens.
Ce que ces histoires ont oublié, c’est qu’Evine est un vaste complexe pénitentiaire composé de multiples bâtiments où les conditions de détention varient énormément. Les visiteurs ont vu seulement une poignée de sections dans les bâtiments 4 et 7, principalement où se trouvent les détenus les plus fortunés reconnus coupables de délits financiers. Dans ces secteurs, les prisonniers utilisent leur propre argent pour améliorer leurs conditions de détention, achètent des tapis, des rideaux, des téléviseurs, des climatiseurs et des ustensiles de cuisine. Le salon de beauté, la salle de sport, la bibliothèque et le restaurant ne sont accessibles qu’aux prisonniers du bâtiment 7.
Loin de ces quartiers chics d’Evine, les choses sont beaucoup plus sombres. Une étude révèle des conditions inhumaines et insalubres généralisées. Il existe un surpeuplement chronique, l’eau chaude est très limitée, la ventilation insuffisante et c’est infesté de cafards et de rats. Les prisonniers ont écrit qu’ils étaient forcés de dormir à même le sol en raison d’un manque de lits et qu’ils étaient nourris de repas « à peine comestibles ».
Sans surprise, les visiteurs n’ont rien vu de cela.
Avant la visite, certains prisonniers dans le bâtiment 4 ont également été transférés pour créer l’illusion de conditions de vie humaines. Les murs ont récemment été repeints et les prisonniers restants ont été avertis de ne pas approcher les diplomates pour leur exprimer leurs inquiétudes.
Pendant ce temps, la délégation a été entièrement empêchée d’accéder aux zones d’Evine contrôlées par le ministère du Renseignements et les pasdarans, où les détenus sont systématiquement maintenus en isolement prolongé et torturés. De même, ils n’ont pas eu le droit de voir où sont détenus les dizaines de prisonniers de conscience. Cela comprend le bâtiment 350, où Abdolfattah Soltani, le célèbre avocat des droits humains, et Arash Sadeghi, militant des droits humains gravement malade, croupissent ; le bâtiment 8, où est enfermé le militant des droits humains Omid Alishenass ; et l’aile des prisonnières où les militantes des droits humains, Narguesse Mohammadi, Golrokh Ebrahimi Iraee et Atena Daemi purgent leurs peines de prison.
Et ils n’ont pas, non plus, pu rencontrer plusieurs bi-nationaux emprisonnés sur de fausses accusations, comme l’employée humanitaire, anglo-iranienne Nazanin Zaghari-Ratcliffe ou l’homme d’affaire anglo-iranien Kamal Foroughi. Le ressortissant irano-suédois, le Dr Ahmadreza Djalali, a été transféré en isolement pendant toute la durée de la visite.
Après que la délégation ait fait le tour du village de Potemkin à Evine, Kazem Gharibabadi, du Haut Conseil des droits de l’homme de l’Iran, a déclaré que les conditions apparemment confortables d’Evine sont typiques des normes pénitentiaires élevées du pays. Une affirmation grotesque après une autre où il a insisté pour dire que les prisonniers en Iran jouissaient d’un « accès parfait aux soins médicaux » – malgré un rapport de l’année dernière montrant comment les prisonniers politiques iraniens se voient refuser l’accès à des traitements médicaux adéquats comme forme de punition particulièrement cruelle.
Dans le monde réel, les propos de Gharibabadi sont un affront aux centaines de prisonniers – des militants pacifiques, desjournalistes, des intellectuels et des avocats des droits humains – qui ont misérablement souffert à Evine tout au long de son histoire honteuse. Chaque année, des dizaines de détenus à Evine et dans d’autres prisons font des grèves de la faim pour protester contre des conditions épouvantables.
La vérité impossible à maquiller, à travestir sur la prison d’Evine, c’est qu’il s’agit d’un lieu de souffrance et de supplice, ainsi qu’un symbole plus large de la répression politique effrénée en Iran.
Les représentants étrangers n’ont pas pu avoir connaissance à l’avance des détails de leur visite hautement contrôlée, mais il devrait être clair maintenant pour eux qu’ils ont été instrumentalisés par les autorités iraniennes pour leur propagande. Ils doivent se prononcer contre la torture et autres mauvais traitements infligés aux prisonniers en Iran, et contre la détention arbitraire des militants des droits de l’homme et d’autres critiques pacifiques. Et ils devraient exiger que les autorités iraniennes ouvrent Evine et d’autres prisons iraniennes à des observateurs internationaux indépendants.
Ce n’était pas une véritable visite de prison, c’était un grossier théâtre politique.
Raha Bahreini est un chercheur iranien d’Amnesty International