Par Eric Sottas
Blog Libération – Depuis les élections contestées du 12 juin 2009, le régime de Mahmoud Ahmadinejad s’enfonce dans une politique répressive marquée par une recrudescence des violations aux droits de l’homme, violations qui affectent désormais toutes celles et ceux qui ne soutiennent pas sans restriction la ligne extrémiste imposée par le pouvoir. Face à cette évolution, nombre d’organisations internationales s’interrogent sur la meilleure conduite à adopter pour faire barrage à une dictature qui ne connaît plus aucun frein.
Une première occasion s’est présentée cette semaine, lors de l’évaluation de l’Iran par le mécanisme mis en place lors de la transformation de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en Conseil, à savoir l’Examen Périodique Universel (EPU). Cette procédure avait pour but d’éviter la sélectivité dont la Commission était le théâtre dans l’attention portée aux différentes réalités dans le monde. Si en soi le fait d’assurer, à tour de rôle et selon une procédure identique, l’examen de chaque pays offre à priori un gage de non discrimination, le choix de confier à une instance politique, composée d’ambassadeurs, le soin de procéder à cet examen limite considérablement la réalité de cette égalité de traitement. En effet le Conseil, comme autrefois la Commission, est constitué de groupes de pays de poids différents qui assurent une majorité automatique en cas de confrontation au « like minded group », c'est-à-dire « à ceux qui pensent de manière identique ». Ce groupe formé de la plupart des pays africains et asiatiques peut, lorsqu’il vote, imposer son point de vue, même si celui-ci manifestement ne correspond pas à un examen objectif de la réalité.
Si l’on ajoute à ce fait que le pays examiné peut choisir, parmi les recommandations que lui font les membres du Conseil, celles qu’il consent à mettre en œuvre et celles qu’il rejette, on comprendra que l’examen périodique relève davantage d’un exercice de négociations diplomatiques que d’une évaluation objective de la situation des droits de l’homme dans le pays concerné.
En effet, la seule manière d’obtenir d’un pays qu’il adopte une attitude tant soit peu constructive et fasse montre d’un minimum de collaboration consiste à se montrer conciliant pour maintenir un dialogue que l’on espère fructueux. Encore convient-il que l’Etat soumis à l’examen accepte d’entendre les critiques qui peuvent lui être adressées. Dans le cas de l’Iran, comme on pouvait le craindre, le régime, loin d’admettre la moindre remise en cause, s’est présenté comme la victime d’un Occident dominateur prétendant lui imposer ses lois et sa culture.
Malgré les critiques solidement étayées émanant, il est vrai, surtout de certains Etats occidentaux, les représentants de Téhéran, et notamment le Secrétaire général du Conseil supérieur iranien des droits de l’homme, n’ont pas hésité à présenter leur pays comme un modèle de fraternité et de coexistence.
De surcroît, à l’issue des débats, la délégation iranienne a rejeté les recommandations émanant des pays occidentaux – plus de vingt – et portant notamment sur la cessation des exécutions capitales particulièrement dans le cas de mineurs, l’autorisation pour le Rapporteur spécial sur la torture de se rendre en Iran et de visiter les lieux de détention, les garanties de l’indépendance du pouvoir judiciaire et le respect de la liberté d’expression.
Cette provocation, si elle n’a pas été du goût de tous les pays du groupe auquel appartient l’Iran, n’a pas – ou du moins pas encore – rompu la solidarité entre ses membres.
Mais d’autres échéances se profilent à l’horizon. On parle d’une résolution, lors de la prochaine session régulière du Conseil le mois prochain, proposant une session spéciale consacrée à l’examen de la situation en Iran, au motif de la gravité de la situation, de la recrudescence des violations et du refus des autorités de coopérer.
Là encore toutefois, la composition du Conseil joue un rôle essentiel. S’il fut relativement aisé de dégager une majorité pour adopter le principe d’une telle session en vue d’examiner l’intervention d’Israël dans les territoires et condamner énergiquement les politiques et mesures prises par ce pays en violations des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels du peuple palestinien, il en alla tout autrement pour le Sri Lanka. En dépit de massacres d’une ampleur incontestable, il fut très difficile d’obtenir l’accord nécessaire à cette session. En outre la résolution finale adoptée par le Conseil à l’issue des débats s’est contentée de reprendre le projet proposé par le Sri Lanka lui-même, sans intégrer aucun des amendements demandés par les pays européens.
Comment sera traité l’Iran en cas de session spéciale ?
Certains redoutent qu’elle ne soit l’occasion pour le régime de Mahmoud Ahmadinejad de durcir le ton en se présentant comme le champion de la lutte contre l’impérialisme occidental et ainsi mieux asseoir son contrôle sur ceux qui, au sein même de son groupe, s’inquiètent devant une dérive extrémiste de moins en moins contrôlable.
Or, Téhéran non seulement refuse toute remise en question mais s’est déclarée candidate à un poste au sein du Conseil des droits de l’homme. Lors de la création du Conseil en mars 2006, il avait été répété que ses membres devaient faire preuve de respect en matière des droits de l’homme et s’engager à mettre en œuvre les principes que cette instance est censée promouvoir et défendre.
L’élection de l’Iran au sein de cet aréopage ne manquerait pas d’être exploitée par le régime et ferait perdre de sa crédibilité au système des Nations Unies.
Dès lors, plusieurs ONG s’interrogent sur la stratégie à adopter pour éviter une telle issue. Ne conviendrait-il pas de se montrer « modéré » pour ne pas faire le jeu de l’Iran ? Si l’on peut comprendre les raisons d’une telle tactique, cela nous amène toutefois à nous interroger sur la fonction des uns et des autres et sur les risques d’une confusion grandissante quant à la mission et au rôle des gouvernements et des ONG.
La lutte pour les droits de l’homme comprend plusieurs volets. La mise en place de Conventions internationales, l’examen du respect des normes conventionnelles ou universelles et enfin, si nécessaire, la sanction pour non respect des obligations incombant à l’Etat.
La décision d’adopter ou non une convention internationale et, le cas échéant, de devenir partie à ce traité, relève d’une prise de position politique des pays concernés. Les ONG peuvent et doivent dire ce que pourraient être les meilleures règles possibles et avancer, comme elles l’ont toujours fait au cours de l’histoire, des propositions pour nourrir le débat interétatique.
Toutefois la décision en la matière relève des autorités des pays concernés. De même en ce qui concerne la sanction, il appartient aux instances politiques, sur la base d’une évaluation de la situation prenant en compte l’ensemble du contexte, de décider parmi les mesures souhaitables quelles sont celles qui peuvent réellement être adoptées. Il est en effet impossible, même si le niveau des violations devait se révéler identique, de traiter de la même façon un petit pays ou une grande puissance. Cela est moralement et éthiquement profondément inique, mais reflète la réalité du rapport de forces.
En revanche, en ce qui concerne l’examen de la situation à la lumière des engagements internationaux, une évaluation objective est envisageable en s’appuyant strictement sur le droit. Il est en effet extrêmement important, même si l’on ne parvient pas à faire cesser une violation, d’affirmer que tel ou tel acte constitue au regard du droit international un crime, de désigner les auteurs et de reconnaître aux victimes leur statut. Ce rôle dans le système intergouvernemental est dévolu aux experts indépendants, qu’ils soient membres des Comités conventionnels ou experts des procédures spéciales. Or ces instances doivent être tenues informées, dans les meilleurs délais et avec la plus grande fiabilité possible, de toute atteinte aux droits relevant de leur mandat. Pour cela, elles dépendent des communications régulières des ONG qui sont leurs principales sources d’informations.
Dès lors, il nous apparaît que si le débat sur la stratégie à adopter quant aux mesures à prendre vis-à-vis d’un Etat en fonction de différentes échéances internationales est légitime, il relève de la politique intergouvernemental et non d’un travail indépendant comme devrait être celui des experts et des ONG.
C’est parce que le Conseil des droits de l’homme, en donnant aux ambassadeurs à la fois un rôle d’évaluateurs de la situation et de décideurs sur les mesures à prendre, a introduit entre ces deux tâches une confusion regrettable que les ONG en viennent à adopter un comportement symétrique en s’interrogeant sur des questions certes importantes, mais qui ne relèvent, à mes yeux, ni de leur tradition ni de ce que l’on attend d’elles aujourd’hui. Si elles se veulent la voix des victimes, cette voix doit être entendue, certes de la manière la plus efficace possible et avec tout l’impact nécessaire, mais sans jamais céder à la tentation d’une « real politique » aux gains aléatoires mais à la perte de crédibilité assurée.