Courrier international – 02.03.2012 Alors que les législatives viennent d’avoir lieu en Iran, le caricaturiste et activiste iranien Kianoush Ramezani, en exil à Paris, raconte sa lutte pour la liberté d’expression dans son pays d’origine et au Moyen-Orient. Au travers de dessins éloquents, il dénonce un régime qui ne prend pas en compte les espoirs de sa jeunesse.
Kianoush Ramezani : J’ai fait ma première exposition de dessins en Iran en 1993, puis j’ai travaillé pour des journaux locaux. Quand je travaillais pour les journaux iraniens, je traitais plutôt des sujets de société, je ne pouvais pas travailler sur des sujets politiques. Mais j’utilisais des symboles pour évoquer ces questions là. Encore aujourd’hui je n’utilise pas de texte, je préfère utiliser uniquement le pouvoir de l’image.
Mais il était de plus en plus difficile de travailler comme caricaturiste indépendant non lié au pouvoir. Alors, dans les années 2000, j’ai cessé de publier mes dessins, et je me suis plutôt attelé à travailler avec des organisations internationales pour faire connaitre la situation des dessinateurs en Iran et leur permettre de diffuser leur travail. A partir de 2003, je me suis mis à travailler avec Feco (fédération des organisations de dessinateurs) : ils n’avaient pas de lien avec l’Iran et j’ai ouvert la section iranienne, avec une dizaine de caricaturistes indépendants, non liés au régime. A partir de 2003, j’ai commencé à travailler avec le réseau Cartoonists rights network international pour faire connaitre la situation des caricaturistes iraniens s’ils avaient des difficultés. Je faisais ce travail de la manière la plus souterraine et invisible possible, c’était trèsrisqué, mais si j’avais eu vraiment conscience du danger, je n’aurais peut-être pas osé. En 2006, après être intervenu à l’étranger sur la situation des dessinateurs iraniens, quand je suis rentré en Iran, la police est venu me voir à mon bureau et dans ma voiture pour me faire des menaces et des remarques du type « nous savons ce que tu es en train de faire », mais je ne les ai pas pris très au sérieux. Comme je ne publiais plus mes dessins donc ils n’avaient rien contre moi, je pensais que parce que je ne travaillais avec aucun journal, j’étais à l’abri.
Qu’est-ce qui s’est passé alors pour vous pousser à partir ?
Lors des élections de 2009 et de la contestation qui a suivi [des milliers de personnes ont défilé pour manifester contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad], je me trouvais là-bas et j’ai été témoin de beaucoup de choses, j’ai vu des bassidjis [miliciens] très violents. C’était vraiment un choc de voir ça dans la ville de Téhéran, j’ai assisté à des scènes où des gens étaient frappés par des bassidjis qui passaient à moto, et j’entendais les gens crier Allah Akbar sur les toits la nuit [en signe de protestation, comme lors de la révolution de 1979], c’est quelque chose que je n’oublierais jamais. Lors que j’ai vu la vidéo de Neda [Agha-Soltan, jeune femme tué le 20 juin 2009], je me suis dit « tu es un caricaturiste, et défenseur des droits de l’homme, tu dois agir, cette fille a été tué dans la rue ».
Dans le pays, il n’y avait rien à faire, j’ai commencé à publier mon travail sur Facebook, puis sur les sites d’opposition à l’étranger, dans le magazine canadien Shahrvand notamment, sous mon nom. Et j’ai vu que la situation commençait à être tendue en Iran, qu’ils arrêtaient tous les gens qui travaillaient pour des journaux et j’ai commencé à avoir peur, je me suis dit que je devais trouver une solution pour quitter rapidement le pays. J’ai réussi à venir en France et j’ai obtenu l’asile politique, grâce à un membre de ma famille qui m’a beaucoup aidé. Le dessinateur Plantu m’a aussi aidé et j’ai intégré son réseau Cartooning for Peace. Quand j’ai quitté l’Iran, j’avais en tête que je ne pourrais plus rentrer. Je savais qu’une fois que je sortirais du pays, j’aurais la possibilité de faire tout ce que je n’ai pas pu faire sur place. Je suis parti sans même dire au revoir à ma mère. Je pouvais rester là-bas et aller en prison mais quel intérêt ? Aujourd’hui, grâce au soutien de la Ville de Paris, je suis en résidence à la Cité internationale des arts. J’espère que je pourrais rester encore en France pour mener à bien mes projets.