The Globe and Mail, le 10 juin 2016, par Marina Nemat* – Homa Hoodfar, professeur à l’Université Concordia et irano-canadienne, a été arrêtée en Iran. Elle mènait des recherches. Son passeport et d’autres documents lui ont été confisqués en mars, peu de temps avant qu’elle revienne au Canada. Elle avait été interrogée et libérée sous caution. Maintenant, elle se trouve à la prison d’Evine.
Mon ami d’école, Shahnoosh Behzadi, a été exécutée à Evine en 1981 et enterrée dans une fosse commune. Elle avait 15 ans. J’avais 16 ans quand j’ai été arrêtée en 1982 et emmenée à la prison d’Evine. On m’avait emmenée dans une pièce et attachée à un lit en bois, couchée sur le ventre. Deux hommes se tenaient au-dessus de moi. L’un d’eux m’avait enlevé les chaussettes et les chaussures et m’avait fouetté la plante des pieds avec un câble aussi épais qu’un tuyau d’arrosage et en caoutchouc dur. A chaque coup de fouet, je sentais que mon système nerveux allait exploser. Si le diable était apparu, je lui aurais vendu mon âme pour sortir de cette pièce. On m’a donné des documents à signer et j’ai tout signé. Plus tard, un de mes interrogateurs m’a violée après m’avoir forcée à me « marier » avec lui.
Aujourd’hui, les prisons iraniennes sont aussi brutales que dans les années 1980. En 2003, Zahra Kazemi, une photojournaliste irano-canadienne a été tuée sous la torture à Evine. Toutefois, de nos jours, lorsqu’ils ont affaire à des ressortissants à la double nationalité, les responsables iraniens sont généralement plus prudents avec la torture physique. Les personnes ayant une double nationalité sont utilisées comme des otages pour négocier des faveurs de l’Occident, de sorte qu’ils ne sont généralement pas visiblement « endommagés ». Les autorités iraniennes ont montré qu’elles n’avaient aucun respect pour la vie et la dignité humaine, mais elles se soucient de l’argent et du pouvoir, il est donc dans leurs intérêts que les otages survivent. La même chose n’est pas vraie pour les prisonniers iraniens qui n’ont aucune valeur « commerciale » ; la plupart sont brutalement torturés, physiquement et psychologiquement.
Depuis qu’Hassan Rohani est devenu président en Iran, divers gouvernements et politiciens du monde entier se sont réjouis que l’Iran ait maintenant un chef de file « modéré ». Certes, le langage de M. Rohani est beaucoup plus doux que celui de son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, qui était très volubile dans sa haine envers l’Occident. A côté de lui, M. Rohani, qui utilise un langage diplomatique mielleux, ressemble à un ange. Mais le nombre d’exécutions a grimpé sous sa surveillance. Les écrivains, les blogueurs et les journalistes sont encore arrêtés et jetés en prison. Aucun des membres de la foi bahaïe mis derrière les barreaux en raison de leurs croyances n’ont été libérés et de plus en plus d’autres sont arrêtés. Les lois en Iran, qui considèrent que le témoignage d’une femme ne représente que la moitié de celui d’un homme, et celui d’un chrétien ou d’un juif comme la moitié de celui d’un musulman, n’ont pas changé. L’Occident a négocié avec l’Iran, et un accord sur le nucléaire a été signé. Mais les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux ont décidé d’oublier le terrible bilan des droits humains en Iran.
Pendant un certain temps sous le mandat de M. Rohani, les femmes ont bénéficié de quelques libertés superficielles : les lois sur le code vestimentaire se sont un peu détendues, et les femmes qui étaient maquillées et portaient des vêtements cintrés n’étaient pas arrêtées aussi souvent par la police des moeurs. Cependant, depuis quelques mois, les femmes sont à nouveau sous les projecteurs. Il semble que le gouvernement de M. Rohani veuille s’assurer que les Iraniens comprennent bien que l’accord nucléaire ne signifie pas davantage de libertés. Il y a quelques semaines, quelques top modèles iraniens, de belles filles qui avaient osé poster leurs photos sans voile sur Facebook, ont été arrêtées et forcées à avouer leur « immoralité ». Elles ont dû se repentir de leurs « péchés ».
Homa Hoodfar est la nouvelle otage d’un système brutal et horrible qui a torturé, tué et violé pendant plus de 35 ans. Nous devons parler non seulement d’elle, mais aussi de tous les autres prisonniers et otages du régime. Non, je ne demande pas à l’Occident d’attaquer l’Iran. La guerre n’arrange rien à long terme. Cependant, parlons, dénonçons et condamnons les bourreaux. Le commerce avec l’Iran est lucratif. Mais mettons en place des mesures et nous y tenir en matière de relations et de commerce, sinon les prises d’otages, le meurtre, la torture et le viol continueront de manière plus sanglante que jamais et nous deviendrons des complices.
*co-présidente du conseil d’administration du Centre canadien pour les victimes de torture et l’auteur de « Prisonnière à Téhéran » et « Après Téhéran ».