CSDHI – C’est un récit bouleversant que raconte cet homme qui a vu sa famille décimée par le régime des mollahs en Iran et qui a décidé de se battre contre la tyrannie religieuse. Ayant rejoint l’opposition démocratique, l’organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), il raconte l’incroyable courage de sa mère dans cette terrible épreuve, courage incarné par des dizaines de milliers de femmes exécutées par les mollahs.
Ce témoignage et bien d’autres se trouvent dans le livre captivant de Struan Stevenson*, qui a été député européen et président de la délégation des relations avec l’Iran au Parlement européen pendant cinq ans :
Je m’appelle Mohammad Shafaï. Je suis né en 1973 à Ispahan, en Iran. J’étais étudiant en médecine à l’université de Caroline du Nord de Greensboro, aux États-Unis. J’étais en deuxième année lorsque j’ai quitté l’université pour rejoindre l’OMPI. Toute ma famille était membre ou partisan de l’OMPI. En 1981, alors que j’avais 8 ans, le régime des mollahs a exécuté mon père, le Dr Morteza Shafaï, ainsi que ma mère, Efat Khalifeh Soltani, et mon frère de 16 ans, Majid. Un an plus tard, en 1982, mon frère de 27 ans est mort sous la torture dans la sinistre prison d’Evine. Cette même année, ma soeur de 24 ans, Maryam et son mari, Hossein Jalil Parvaneh, ont été abattus par les gardiens de la révolution (pasdaran) dans les rues de Téhéran. La seule survivante de ma famille, ma soeur Zohreh, a été emprisonnée en 1981 et relâchée quelques années plus tard.
Avec un tel passé, j’ai connu l’OMPI dès l’enfance. Je n’en savais pas grand-chose à l’époque et à cet âge, je n’étais pas capable de dissocier le bien du mal. Je ne savais pas vraiment pourquoi j’avais perdu tous les membres de ma famille. Pourquoi avaient-ils été tués ? J’aimais tout simplement ma famille et je savais que c’était des gens biens.
En 1981, le régime de Khomeiny a procédé à la fermeture de tous les sièges officiels de l’OMPI dans le pays et a arrêté ses membres. L’OMPI s’est vue alors contrainte de tenir ses réunions chez ses sympathisants. À Ispahan, notre maison faisait partie de ces lieux de réunions et d’activités. Le 2 mai 1981, une réunion s’est tenue chez nous. Au terme de celle-ci, une foule s’est mise à manifester dans les rues avoisinantes. Les pasdaran ont chargé les manifestants et perquisitionné notre maison, ce qui a conduit à l’arrestation de ma mère et d’autres personnes qui se trouvaient à l’intérieur. C’était la première arrestation de ma mère. Elle a été relâchée quelques jours plus tard.
Deux mois plus tard, alors qu’avec ma mère et mon père, nous étions à la maison, des pasdarans ont frappé à la porte pour demander mon père. Ils nous ont dit qu’ils avaient des questions à lui poser et qu’ils le ramèneraient dans la demi-heure. Il n’est jamais revenu. C’est la toute dernière fois que j’ai vu mon père. Quelques jours plus tard, la même chose s’est produite avec ma mère. Les pasdarans se sont présentés et ont demandé à ma mère de les accompagner. Je me suis mis à pleurer. Ma mère m’a embrassé et m’a dit : « Je ne reviendrai jamais. Ils n’ont pas ramené ton père et ils ne me ramèneront pas. » Rien n’est plus précieux qu’une mère pour un enfant de huit ans. J’ai perdu alors tout contrôle. Je suis devenu hystérique. J’ai attaqué un pasdaran en lui donnant des coups de pied et de poing. Il m’a ri au nez en m’humiliant. Il n’y avait aucune trace de pitié sur son visage, juste de la haine et de la cruauté.
Parce qu’il ne restait personne à la maison, ma mère a demandé à notre voisine de veiller sur moi. Les pasdaran ont emmené ma mère et j’ai eu le cœur déchiré de douleur. Quelques jours plus tard, mon oncle paternel qui vivait à Chiraz, est venu pour m’adopter.
On m’a emmené une fois voir ma mère en prison. On devait franchir une immense porte. Il y avait un jardin comme une jungle avec de grands arbres. Je ne pouvais distinguer aucun bâtiment. Ils m’ont fait entrer dans le jardin et j’ai attendu à côté d’un arbre. Ils ont amené ma mère. Elle m’a serré très fort en m’embrassant. Moi aussi je l’embrassais. J’avais désespérément besoin de son amour. J’étais si heureux de la revoir mais mon réconfort s’est vite transformé en chagrin. Ils m’ont dit en sa présence que je n’aurais plus le droit de la revoir. De toute évidence, ils voulaient m’utiliser comme moyen de pression pour que ma mère dénonce l’OMPI. Ils se sont mis à l’insulter. Ils lui disaient de retourner à sa vie ordinaire et de mener une vie agréable avec son petit garçon. Ils lui ont dit que si elle ne le faisait pas pour elle, qu’elle le fasse au moins pour son pauvre fils. Ils ont continué en lui disant qu’il n’y avait personne pour m’élever. Que sans tuteur valable, je deviendrais vite un délinquant . . . Ma mère ne leur a prêté aucune attention, à aucun moment. Elle m’a embrassé, et m’a dit qu’elle ne rentrerait jamais à la maison et que je devrais être fort.
Mon père, ma mère et Majid, mon frère de 16 ans, ont été exécutés avec 50 autres partisans de l’OMPI à Ispahan le 27 septembre 1981.
On voit sur la photo de famille, Mohammad dans les bras de sa mère. Lui et sa soeur Zohreh, à droite, sont les seuls rescapés. Son frère Majid qui prend la photo a aussi été exécuté.
* Iran, Self-Sacrifice, de Struan Stevenson, aux editions Birlinn, www.birlinn.co.uk (en anglais)