CSDHI – Al Monitor a publié dimanche un article au sujet de l’affaire de Sadaf Khadem, une boxeuse iranienne qui avait fait la une des journaux au début du mois d’avril lorsqu’elle avait remporté son premier match contre une adversaire étrangère après son voyage en France pour un combat officiellement sanctionné.
Le match a été largement décrit comme la première occasion de ce type pour une Iranienne, donnant ainsi plus de poids à la victoire de Khadem. Malgré l’approbation préalable des autorités sportives iraniennes, Khadem a annulé son voyage de retour par crainte d’être arrêtée au moment de son retour en Iran.
Les craintes viennent du fait que Khadem a concouru en short et en débardeur au lieu de porter le hijab traditionnel, qui est légalement obligatoire pour toutes les Iraniennes, en toutes circonstances, même lorsqu’elles représentent le pays face à la concurrence étrangère. Comme Al Monitor l’a noté, les artistes martiales iraniennes ont porté le hijab islamique lors des Jeux olympiques et d’autres évènements internationaux, tandis que des personnalités telles que la championne d’échecs Dorsa Derakhshani ont été sanctionnées pour leur manquement à porter le hijab.
Khadem et son entraîneur franco-iranien Mahyar Monshipour ont tous deux déclaré avoir reçu des menaces d’arrestation à la suite de son match, au cours duquel elle n’était pas voilée. Tous deux pensent que des mandats d’arrêt légaux ont été émis, bien que le responsable de la Fédération iranienne de boxe l’ait nié. Cependant, il y a peu de raisons de tenir ce déni pour acquis. En premier lieu, les organes répressifs iraniens ne communiquent souvent pas clairement les uns avec les autres au sujet des arrestations prévues, et encore moins avec les organismes non répressifs. Deuxièmement, le régime iranien a une longue tradition de secret concernant ses procédures judiciaires, en particulier celles qui sont motivées par des motifs politiques ou qui ont une sensibilité internationale.
De plus, il y a de bonnes raisons de prendre au sérieux la menace d’arrestation de Khadem et de Monshipour, car le mépris de la boxeuse pour les lois sur le voile obligatoire intervient à un moment où le régime tente ardemment de renforcer le code vestimentaire islamique et d’autres principes des intransigeants. Les militants sociaux et les autorités du régime sont depuis longtemps en concurrence sur les questions relatives aux droits des femmes et les questions connexes. Et ce conflit a atteint une sorte de crescendo l’année dernière au milieu d’un vaste mouvement de protestation.
Le mouvement élargi a débuté le 28 décembre 2017 avec des manifestations économiques dans la ville de Mashhad, qui ont rapidement pris un ton largement anti-gouvernemental. Mais un jour plus tôt, le mouvement des droits des femmes avait franchi une étape décisive avec le début d’une série de manifestations qui s’appelleraient désormais « Les filles de la Rue de la Révolution » (Girls of Revolution Street). Ces manifestations impliquaient des femmes qui enlevaient le foulard blanc dans des lieux publics et les tenaient au-dessus de leurs têtes comme des drapeaux. La première femme connue à le faire s’appelle Vida Movahedi et elle purge actuellement une peine d’un an de prison pour son geste.
C’est loin d’être la peine la plus draconienne à être infligée à une militante des droits des femmes depuis quelques mois, mais elle reste emblématique d’un phénomène plus vaste dans lequel les autorités du régime s’emploient à réprimer la défense des droits des femmes. En fait, comme l’Iran Human Rights Monitor l’a souligné samedi, la répression est si omniprésente qu’Amnesty International a récemment publié une déclaration exhortant Téhéran à mettre fin à sa campagne de harcèlement, d’arrestation et d’emprisonnement des militantes.
Le communiqué a également reconnu la tendance opposée au sein de la communauté activiste, selon le directeur du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’Organisation : « Les autorités iraniennes semblent se déchaîner en réponse au défi grandissant manifesté par les femmes iraniennes et au mouvement populaire pacifique croissant contre les lois sur le voile obligatoire dans le but de les intimider pour les faire taire et les soumettre ».
Cette campagne implique, entre autres, des communications téléphoniques menaçantes comme celles rapportées par Sadaf Khadem à la suite de son match de boxe. Les conséquences de ces arrestations éventuelles sont rarement précisées, mais elles peuvent aller de quelques semaines de prison à des dizaines d’années. Le mois dernier, la célèbre avocate et militante des droits des femmes, Nasrin Sotoudeh, a été condamnée à 33 ans de prison et 148 coups de fouet, en plus d’une peine préexistante de cinq ans, principalement en représailles parce qu’elle a défendu les manifestantes de la « Rue de la Révolution ».
On ne sait toujours pas quelle proportion de cette peine sera effectivement à purger par Sotoudeh, mais cette incertitude met en lumière une autre caractéristique du système judiciaire iranien et de la répression de la dissidence par les autorités. Les peines d’emprisonnement et autres peines sont souvent infligées ou modifiées arbitrairement, et parfois, les juges trouvent des prétextes peu convaincants pour prolonger des peines déjà purgées.
Bien que la peine imposée à Vida Movahedi pour la manifestation publique soit un peu courte par rapport aux normes de la République islamique, elle est sans doute aggravée par le fait qu’elle a été maintenue en détention pendant plusieurs mois avant d’être condamnée à une peine. L’incertitude entourant son affaire n’a été aggravée que ces derniers jours, le Centre pour les droits de l’homme en Iran signalant qu’une demande de libération anticipée avait été approuvée techniquement, conformément à la loi, mais que la libération avait été retardée, arbitrairement.
Ce décalage entre les normes juridiques et le comportement réel du gouvernement peut atteindre le niveau de la torture psychologique, et il y a eu d’autres exemples du même phénomène dans l’affaire Movahedi et celle d’autres militantes des droits des femmes. Le CDHI rapporte qu’elle a été placée dans la population carcérale générale, parmi des délinquants violents, contrairement aux principes légaux quant à la séparation des détenus en fonction de la nature de leurs « infractions ». En outre, le délit consistant à être non voilée en public ne devrait entrainer qu’une peine de deux mois, mais les peines infligées à Movahedi et à d’autres ont été élargies en les accusant notamment d’infractions comme « l’encouragement à l’immoralité et à la prostitution ».
Ce témoigne de la persistance du mouvement militant que de plus en plus de femmes sont toujours menacées par de telles pratiques. La semaine dernière, IranWire a annoncé l’arrestation d’une mère et de sa fille, Monireh Arabshahi et Yasaman Aryani, qui ont été vues dans un wagon de métro réservé aux femmes à Téhéran, en train de distribuer des fleurs en commémoration de la Journée internationale de la femme. Après la diffusion en boucle de la vidéo sur les médias sociaux iraniens, les forces de sécurité ont fait irruption au domicile de la famille, confisqué les biens et arrêté Aryani sur place, puis arrêté Arabshahi lorsqu’elle est allée rendre visite à sa fille en prison.
Le rapport IranWire a également souligné qu’avant son arrestation, Aryani – une actrice et une activiste sociale – avait été exclue d’une pièce de théâtre dans laquelle elle jouait dans un théâtre appartenant au ministère de la culture et de l’orientation islamique. Cela souligne le fait que les arrestations et les poursuites ne sont qu’un aspect de la répression actuelle contre les droits des femmes. D’autres mesures d’application de la loi concernent les expressions culturelles et la diffusion de propagande liée aux rôles de genre.
Dans cette optique, les extrémistes ont déployé des efforts concertés au cours des derniers mois et des dernières années pour annuler les productions sur scène de chanteuses et de musiciennes, pour imposer une ségrégation sexuelle plus stricte dans l’espace public et pour limiter le rôle culturel des acteurs, actrices et autres personnalités ayant tous une mentalité progressiste. La célèbre actrice de cinéma, Maryam Moghaddam, a récemment signalé avoir subi un traitement similaire à celui d’Aryani, alors qu’elle a été soudainement empêchée de travailler sur un film, sur la base d’un « ordre venant d’en haut ».
Le CDHI a communiqué des informations sur sa situation en citant des extraits de la lettre ouverte qu’elle a écrite en réponse. Selon ces informations, Moghaddam avait déjà été interdite complètement de jouer pendant deux ans, en raison du rôle qu’elle avait interprété dans un film du réalisateur Jafar Panahi, qui avait été interdit de réalisation cinématographique et condamné à six ans de prison en 2010 sur la base du contenu socialement complexe de son travail.
Mais malgré cette interdiction, écrit Moghaddam, elle n’a « jamais été empêchée de travailler » autrement. Cette observation suggère une escalade de l’application par le régime de règles strictes qui, de l’avis du CDHI, sont souvent appliquées de manière arbitraire. Dans le même temps, le contenu de la lettre de Moghaddam reflète la même attitude que celle adoptée par de nombreux militants iraniens face à la montée de la répression. « Je ne sais pas si vous écrire une lettre résoudra quelque chose ou rendra la situation plus difficile pour moi, mais cela n’a aucune importance », at-elle expliqué, ajoutant : « C’est certainement mieux que de garder le silence ».
Source : INU