lexpress.fr – Rudement réprimées, les manifestations de ce lundi, à Téhéran comme en province, mettent en évidence l'incapacité du clan Ahmadinejad à juguler la révolte civique.
Rien n'y fait. Le pouvoir iranien peut bien museler Internet, réduire au silence les réseaux de téléphonie mobile, déployer un dispositif policier dissuasif, faire donner les Gardiens de la Révolution et les miliciens bassidji, garde-chiourmes du régime, jeter en prison les meneurs supposés, bannir les médias étrangers: il ne parvient pas à étouffer la contestation.
Pour preuve, les manifestations hostiles au président Mahmoud Ahmadinejad, organisées ce lundi à Téhéran, Chiraz ou Machhad , à la faveur de la "Journée de l'Etudiant." Le 16 du mois de Azar -7 décembre selon le calendrier persan-, la République islamique commémore l'assassinat de trois jeunes patriotes, tombés en 1953 sous les balles de la police du Chah, au lendemain de l'éviction du Premier ministre nationaliste Mohamed Mossadegh.
Etroitement surveillés, les rebelles ont en effet pris le pli de braver les interdits en détournant à leur profit les dates-clés du calendrier révolutionnaire. Ainsi avaient-ils, début novembre, piraté le 30e anniversaire de la prise d'assaut de l'ambassade américaine, ce "nid d'espions."
De même, il est d'usage, depuis la réélection le 12 juin, fraudes à l'appui, de l'islamo-populiste sortant Ahmadinejad, de se hisser à la nuit tombée sur les toits pour y scander "Allah Akbar!" -Allah est grand-, une incantation qui fait écho au cri de ralliement en vigueur voilà trois décennies chez les disciples de l'ayatollah Khomeiny. Un autre slogan en vogue atteste le savoir-faire des insoumis en matière de maniement des symboles. "Ya Hossein!" renvoie tout à la fois à l'invocation traditionnelle d'un imam révéré du chiisme et au nom de l'ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi, candidat malheureux au scrutin de juin.
Tirs de gaz lacrymogène et de pistolets à impulsion électrique, bastonnades, chasses à l'homme, campus assiégés, descentes musclées dans l'enceinte des facs: l'appareil sécuritaire a de nouveau largement puisé dans l'arsenal répressif pour tuer dans l'oeuf toute velléité frondeuse.
La révolte exaspère le clan Ahmadinejad
Outre sa brutalité, souvent aveugle, certains de ses expédients heurtent profondément l'âme iranienne. Notamment quand les forces de l'ordre malmènent les mères qui, chaque samedi au parc Laleh de Téhéran, pleurent leurs enfants, tués lors de l'écrasement du soulèvement post-électoral. Selon le New York Times, une vingtaine d'entre elles ont d'ailleurs été arrêtées dimanche.
A l'évidence, la persistance d'une révolte civique pugnace et inventive déroute et exaspère le clan Ahmadinejad. Elle accuse aussi les fissures apparues au sommet. Ce lundi, le grand ayatollah Nasser Makarem Chirazi, réputé proche de la nébuleuse conservatrice, a préconisé l'ouverture d'un dialogue avec l'opposition afin de "calmer le climat politique."
Quant à l'ex-président Akbar Hachémi Rafsandjani, patron de l'Assemblée des Experts et du Conseil de discernement, deux institutions-clés du système, il dénonce ouvertement les outrances du pouvoir, son allergie à la "critique constructive", et appelle à instaurer "une atmosphère de liberté."
On en est loin. Tout se passe comme si, face au tumulte intérieur comme sur le front nucléaire, Téhéran s'obstinait à chercher le salut dans la fuite en avant.