Marianne – Ancien chef de l’Autorité judiciaire, Ebrahim Raissi a été intronisé président de la République islamique d’Iran ce mardi 3 août par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Le nouvel homme fort de Téhéran est un ultraconservateur au passé trouble en matière de répression de l’opposition. Entretien avec Farideh Goudarzi, ancienne prisonnière politique en Iran, qui a côtoyé le nouveau chef d’État dans les geôles du régime.
Torture, aveux forcés, châtiments corporels et assassinats : ONG et anciens prisonniers politiques accusent le nouveau président iranien Ebrahim Raïssi d’avoir joué un rôle central dans le massacre de prisonniers politiques iraniens. En 1988, à la fin de la guerre avec l’Irak, le régime emprisonne et assassine des milliers d’opposants. Ebrahim Raïssi, qui était procureur adjoint de Téhéran, intègre alors une « commission de la mort » chargée d’exécutions extrajudiciaires, selon un rapport de l’avocat britannique Geoffrey Robertson, publié en 2011.
Vainqueur de la présidentielle en juin, celui qui a été l’élève du guide suprême Khamenei a été intronisé mardi 3 août président de la République islamique d’Iran. Il succède au modéré Hassan Rohani, qui avait conclu en 2015 un accord international sur le nucléaire iranien. Un traité que Donald Trump a fait voler en éclat en 2018, tandis que l’administration a sanctionné plusieurs responsables iraniens dont Ebrahim Raïssi. En riposte, l’Iran a renoncé à la plupart de ses engagements clés qui limitaient ses activités nucléaires.
En ce sens, l’arrivée de Ebrahim Raïssi ne doit rien au hasard, et marque un durcissement de la ligne iranienne face à l’Occident. Les radicaux sont désormais aux manettes au pays des mollahs. Lors de sa première conférence de presse comme président élu, cet ancien chef de l’Autorité judiciaire a répondu pour la première fois publiquement aux accusations d’exactions. « Je suis fier d’être un défenseur des droits de l’homme » a-t-il affirmé. Des propos dénoncés par Amnesty International dans un communiqué publié ce 19 juin. L’ONG a demandé une enquête sur le nouveau président pour « crimes contre l’humanité » et « répression brutale » des droits humains.
Marianne s’est entretenu avec Farideh Goudarzi, ancienne prisonnière politique en Iran, aujourd’hui réfugiée en Albanie. Dans un récit glaçant, cette femme d’une soixantaine d’années affirme que le nouveau président Raïssi a supervisé le travail de ses tortionnaires et participé à l’assassinat de milliers d’opposants.
Marianne : Pourquoi et quand avez-vous décidé d’entrer en résistance ?
Farideh Goudarzi : J’ai pris cette décision au lendemain de la révolution de 1979, qui avait mis à bas la monarchie. En tant que jeune iranienne, j’ai décidé de prendre part aux manifestations en réponse à l’appel démocratique des moudjahidines du peuple [mouvement de résistance armée à la République islamique]. Notre objectif était d’obtenir la liberté et la justice sociale. Pour aider la cause, je distribuais des tracts et transmettais des messages de la résistance vers la population. Malheureusement, les vrais leaders d’opposition au shah étaient déjà en prison. En dépit de toutes les promesses que les religieux nous ont faites à l’époque, aucune n’a été tenue, et j’ai été arrêté par les Gardiens de la révolution.
Quelles ont été les conditions de votre arrestation et par la suite, de votre détention ?
Au mois de juillet 1983, lors de mon arrestation, j’avais à peine 20 ans et devais accoucher quelques jours plus tard. Dès les premières heures, j’ai été torturé dans une pièce située dans le sous-sol du tribunal de la ville de Hamadan [dans l’ouest de l’Iran]. Mes tortionnaires espéraient que je dénonce les camarades avec lesquels je militais. Pour ce faire, les pasdarans m’ont attaché à un lit avant de fouetter la plante de mes pieds avec des câbles électriques. La plupart des prisonniers ont subi ce type de torture. Au sein de cette salle d’interrogatoire, il y avait sept personnes. L’une d’entre elles se tenait dans un coin et surveillait la scène. C’était Ebrahim Raïssi. J’ai appris plus tard qu’il ne manquait pas un interrogatoire.
« Ebrahim Raïssi supervisait tout mais ne se salissait pas les mains. »
Puis j’ai été transférée dans une cellule d’isolement, où on m’a maintenu enfermé pendant sept mois. Deux semaines après mon arrivée, mon enfant est venu au monde. Il m’est alors arrivé de n’avoir rien d’autre que de l’eau sucrée pour le nourrir durant 48 heures. Un soir, les pasdarans [Gardiens de la révolution] sont entrés dans ma cellule, ont pris mon fils avant de le faire tomber au sol de manière cruelle. Ils voulaient me détruire psychologiquement. Ebrahim Raïssi était là lui aussi. Et le lendemain, il était également au tribunal, où ils m’ont interrogée six heures d’affilée. Mon fils pleurait à cause de la faim et les gardes l’ont frappé pour qu’il se taise. Heureusement, ma famille a pu l’emmener loin de la prison lorsque l’on m’a autorisé une visite.
Plusieurs de vos proches ont été emprisonnés et exécutés. Considérez-vous que Ebrahim Raïssi en est responsable ?
Mon frère était enseignant et avait 27 ans le jour de son arrestation. Les pasdarans ont ouvert le feu sur lui, le touchant au pied et au bras. Malgré son état de santé, il a quand même été torturé. Puis il a comparu devant un tribunal dont Raïssi était procureur. Il a d’abord été condamné à mort puis sa peine a été commuée à vingt ans de réclusion. Mais cela n’a servi à rien car il a été pendu lors du massacre de 1988. Ce crime contre l’humanité porte la marque de Ebrahim Raïssi. Mon époux, quant à lui, avait 23 ans au moment de son arrestation. Lui aussi a été pendu à une grue, installée dans la cour du tribunal de Hamadan. Selon le règlement du régime, lors de l’exécution de prisonniers, il faut que le procureur, le juge et le directeur de la prison soient présents. Ainsi Ebrahim Raïssi supervisait tout mais ne se salissait pas les mains.
Comment s’est passé le reste de votre détention ?
Lors de mon séjour à l’isolement, le plus dur à supporter a été les gémissements des autres prisonniers en train de se faire torturer dans les pièces voisines. Après cette période de sept mois, j’ai été jugée par un tribunal en l’espace de quelques minutes. Ils m’ont condamné à mort pour avoir sympathisé avec les moudjahidines du peuple. Mais après la visite d’une délégation de l’ayatollah pro-démocratie Hossein Ali Montazeri, ma peine a été réduite à vingt ans de prison, puis à six.
Après votre libération, vous décidez tout de même de rester en Iran avant de prendre le chemin de l’exil. Pourquoi ?
Pendant 28 ans, j’ai vécu dans des situations de sécurité précaires. J’ai finalement dû quitter le pays en 2016, alors que mon fils a été arrêté par les pasdarans, car il était soupçonné de faire partie des moudjahidines du peuple. Il a été condamné à cinq mois de prison. Néanmoins, nous avons pu payer une caution pour le faire sortir, et avons par la suite fui le pays.
À l’heure actuelle je me trouve en Albanie, dans la ville d’Ashraf 3, située à 30 kilomètres de Tirana, la capitale. C’est un lieu de réunion pour les opposants au régime iranien. Là-bas, je continue mes activités en tant que militante de la résistance, et espère un jour permettre à l’Iran de se libérer. Nous souhaitons aussi obtenir justice pour le massacre des plus de 30 000 prisonniers politiques assassinés par le régime.
Aujourd’hui, alors qu’un bourreau a été nommé président de la république des mollahs, nous avons envoyé une lettre de réclamation au rapporteur spécial des Nations Unies pour l’Iran, en espérant qu’il interdise le nouveau dirigeant de se présenter dans cette instance internationale. Aussi nous sommes en train de porter une action en justice devant les tribunaux internationaux.