CSDHI – Le procès de l’attentat déjoué de Villepinte, en 2018, s’ouvre à Anvers sur fond de tensions avec Téhéran
Le Monde, Bruxelles, le 28 novembre – Par Jean-Pierre Stroobants (avec Jacques Follorou). Le tribunal d’Anvers, en Belgique, devait commencer, vendredi 27 novembre, l’examen d’une affaire retentissante impliquant un diplomate iranien et trois de ses complices présumés. Arrêtés en Belgique, en France et en Allemagne, le 30 juin et le 1er juillet 2018, ils ont été mis en examen pour tentative d’assassinat terroriste et préparation d’une infraction à caractère terroriste.
Leur cible devait être un grand meeting de l’opposition au régime des mollahs, le 30 juin, à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Un couple de Belgo-Iraniens, arrêtés à Bruxelles le matin même de la réunion, transportait un engin explosif sophistiqué : un demi-kilo de peroxyde d’acétone (TATP) qui, commandé à distance, aurait pu causer des dégâts considérables et tuer de nombreuses personnes, selon les experts.
Des dizaines de milliers de participants étaient attendus pour la réunion annuelle du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), qui coalise depuis 1981 cinq organisations d’opposition. Il est présidé par Maryam Radjavi, déjà visée, en Europe, par d’autres tentatives d’attentat, en 1995 et 2014.
De nombreuses personnalités étaient au premier rang à Villepinte, et 25 d’entre elles se sont constituées parties civiles. Ingrid Betancourt, ex-sénatrice et candidate à la présidence de la Colombie, va adresser une déclaration au tribunal en évoquant « la sueur froide qui [lui] parcourt le dos à l’idée du carnage qui aurait pu avoir lieu ». Ancien élu démocrate au Congrès américain, Robert Torricelli a confessé que « toute [sa] vie a été affectée » par ce projet meurtrier. D’autres Américains, dont Rudy Giuliani, l’actuel avocat de Donald Trump, étaient présents, ainsi que les Français Yves Bonnet, expatron de la direction de la surveillance du territoire (DST) et Bernard Kouchner, ou encore l’ancien premier ministre algérien Sid Ahmed Ghozali. Le prince saoudien Turki Fayçal Ben Abdelaziz, invité, avait, lui, décliné : il avait déjà reçu des menaces venues d’Iran, a-t-il confié ultérieurement.
FEU D’ARTIFICE
Le principal inculpé à Anvers est un diplomate, Assadolah Assadi, troisième conseiller à l’ambassade iranienne à Vienne au moment des faits. Commanditaire et organisateur du projet, c’est lui qui avait remis la bombe à Amir Saadouni et sa compagne, Nasimeh Naami. Tous deux auraient travaillé durant une dizaine d’années pour le ministère iranien du renseignement et de la sécurité (MOIS). Ils étaient en possession d’importantes sommes d’argent, ont voyagé en Iran à diverses reprises et participé à des réunions préparatoires dans des villes d’Europe.
Assadi, formé aux techniques militaires et à la fabrication d’explosifs, travaillait lui aussi pour le MOIS et avait un long passé dans la surveillance des opposants, selon les services belges. Arrêté en Allemagne alors qu’il tentait de regagner l’Autriche, après l’arrestation du couple à Bruxelles et du dernier membre du quatuor, Mehrdad Arefani, à Villepinte, il n’était pas seul à la manœuvre. A Téhéran, des réunions se sont déroulées avec « Mohsen », son chef présumé. Le dossier d’instruction révèle aussi qu’un mollah réputé proche d’Ali Khamenei, le Guide suprême, a fait le voyage de Téhéran à Vienne, puis à Paris, pour accompagner Assadi dans une mission de reconnaissance en France.
Un carnet retrouvé lors de l’arrestation d’Assadi comportait un itinéraire et des notes sur ces visites. Les services belges estiment que l’opération a en fait été conçue au plus haut niveau à Téhéran et le CNRI affirme qu’elle a été validée par le Conseil suprême de la sécurité nationale, avec l’approbation du président de la République, Hassan Rohani, avant celle du Guide suprême, Ali Khamenei.
Après son arrestation, le couple Saadouni-Naami avait nié la nature mortelle de l’attaque et affirmé qu’il croyait transporter de quoi faire un feu d’artifice. Le dossier semble, à l’inverse, confirmer que les deux connaissaient la vraie nature de la « PS4 » – le nom de code de la bombe – qu’ils devaient véhiculer. Et qu’ils ont examinée en détail, après l’avoir reçue. Les enquêteurs ont aussi retrouvé des messages évoquant clairement l’attaque – « Si ça marche à l’intérieur OK ; si vous voyez que c’est difficile, à l’extérieur, OK » – et la promesse de se retrouver « au pays d’Ali » pour « recommandation » et « récompense ».
En France, deux ans et demi après la tentative avortée de Villepinte, les services de renseignement restent marqués. « Cette affaire est gravissime, elle aurait pu causer un carnage, confirme un membre de la communauté du renseignement français. Mais il a fallu faire profil bas. »
ENLEVEMENT D’UN OPPOSANT
En effet, si Paris a accusé publiquement Téhéran d’avoir commandité le projet, le contexte géopolitique a contraint les services secrets à mettre en sourdine leurs inquiétudes sur ce qu’ils qualifient de « terrorisme d’Etat ». Car, depuis que les Etats-Unis se sont retirés de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, en mai 2018, les autorités françaises veulent, comme d’autres en Europe, sauver des années de négociation et conserver un lien avec l’Iran.
La France s’est donc contentée de geler les avoirs du viceministre iranien du renseignement chargé des opérations, d’Assadolah Assadi et d’une direction du ministère du renseignement de Téhéran. En réalité, aucun ne possédait d’actifs en France. Un espion iranien, sous couverture diplomatique à Paris, a aussi été expulsé en septembre 2018.
La vigilance n’est pas retombée pour autant. Le gouvernement a ainsi condamné, en octobre 2019, l’enlèvement d’un opposant iranien, Rouhollah Zam, par les gardiens de la révolution. Ce dernier vivait en exil en France. Protégé, depuis deux ans, par les services de sécurité, il bénéficiait du statut de réfugié sous protection asilaire. L’intéressé et sa famille avaient été menacés de mort.
Informée de l’existence d’un « contrat » ouvert par Téhéran contre M. Zam, la France avait convoqué des représentants iraniens en poste en France. Prévenus que Paris n’accepterait aucun assassinat sur son sol, les services iraniens avaient finalement réussi, grâce à une fausse opposante, à l’attirer en Irak.