CSDHI – La chanteuse iranienne en exil Gissoo Shakeri de passage en France a accordé une interview à CSDHI sur le rôle des artistes contre l’intégrisme islamiste qui sévit en Iran depuis 37 ans et sur les liens qu’elle entretient avec la culture française. Voici une première partie de son interview. (voir la 2e partie)
– Gissoo Shakeri, chanteuse iranienne accomplie, comment vous définissez-vous ?
Je suis une chanteuse engagée, j’utilise mon art pour mon combat politique, c’est pour cela que je me classe moi-même comme une artiste de la protestation. Je m’élève contre l’injustice sociale, contre l’injustice dans le monde, mais avant tout contre l’injustice et l’oppression qui sévit en Iran sous le joug des mollahs.
– A quoi vous attachez-vous dans vos chansons ?Je conçois mes chansons comme une sorte de déclaration politique. J’écris moi-même des poèmes, mais ils ne sont pas faits pour être chantés. Par contre les chansons que je choisis sont des proclamations qui prennent leur envol sur la musique pour aller se poser dans le cœur des gens. Dès le début de ma carrière, j’ai eu des modèles dont j’ai voulu poursuivre la voie. Pour certains ils remontent à la révolution constitutionnelle de 1906 en Iran. Cette époque était riche en artistes qui se sont dressés contre le pouvoir pour soutenir les aspirations de la population.
Dans mon domaine, l’art, nous menons une lutte complexe : il faut se battre contre le pouvoir, contre les opportunistes et contre les artistes qui courtisent le pouvoir. Le grand poète iranien Ahmad Shamlou disait « l’artiste est contre le pouvoir pas tout contre le pouvoir ». Cela signifie donc que les artistes doivent se placer du côté du peuple.la population.
Je suis heureuse de voir la diversité des artistes engagés dans la résistance iranienne. Nous sommes devenus si nombreux. Nos œuvres, nos poèmes, nos musiques regorgent de sens, portent des coups à ce régime et font de nous un fer de lance de l’art contre la dictature, l’intégrisme islamiste, l’oppression et l’inégalité.
– Avez-vous des préférences pour des artistes français ?
Oui bien-sûr. J’adore Jacques Brel, Juliette Greco, Paul Eluard et son magnifique poème sur la liberté. Ce sont des modèles. Les artistes engagés en France sont innombrables, écrivains, poètes, auteurs et compositeurs. La France reste à nos yeux le pays de Voltaire, le pays de Sartre, le pays de Simone de Beauvoir et surtout, la France c’est le pays de mon idole Edith Piaf. La France est le pays de la culture, de la musique, de la littérature engagées dans le monde. La France est connue pour cela. Dans ma jeunesse, c’est en France que nous trouvions beaucoup de nos modèles. C’est le pays de la « Grande révolution » (1789), le berceau de la civilisation et de la démocratie. Il faut que la France reste ce foyer-là. Le peuple français a toujours lutté pour la liberté et la démocratie. On le retrouve sur la place de la République, la place de la Bastille. Voilà des symboles, le fruit de luttes.
C’est d’ailleurs pour cela que les intégristes islamistes visent ce foyer de la liberté d’expression en France. Les intégristes islamistes s’en sont pris à des artistes : ils ont attaqué Charlie Hebdo, ils ont attaqué le Bataclan. Car la liberté constitue la plus grande menace pour les intégristes islamistes. C’est pour cela qu’ils visent d’abord la liberté d’expression. Ensuite, ils s’en prennent aux femmes. Ils savent où est la place de l’art et de la libre pensée.
Il se peut que tout le monde n’est pas lu Voltaire ou d’autres livres. Mais tout le monde peut écouter de la musique, entendre une chanson, capter la voix de la liberté. Avec une chanson, une parole peut s’envoler à tire d’aile pour se nicher dans le cœur des gens et leur permettre de réfléchir.
– C’est pour cela que les dictatures s’en prennent aux artistes ?
Oui, les dictatures connaissent très bien le rôle de l’art. C’est pour cela que les tyrans essayent de présenter une autre image d’eux à travers l’art, la propagande. On voit comment Hitler a utilisé l’art dans sa propagande et comment Khomeiny et les mollahs, avec toutes ces exécutions, ces 120.000 exécutions politiques et moi je dirai même qu’ils ont dépassé le demi-million d’exécutions, tous ces crimes en 37 ans, tout ce sang versé, toute cette répression, ce terrorisme, veulent faire passer une autre image d’eux à l’étranger. En France, ils présentent des films au festival de Cannes, ils participent à des festivals de musique, pour se donner une autre image. Ils instrumentalisent l’art.
– Mais en Iran, que devient l’art ?
En Iran, l’art est clandestin. Les femmes ne peuvent pas chanter en public. A l’heure qu’il est, la télévision en Iran ne présente toujours pas d’image d’instruments de musique en train de jouer. Dans les films du régime, les artistes jouent l’oppression, l’intégrisme. Mais ici à l’étranger, le régime se pavane dans les festivals.