CSDHI – Je m’appelle Amineh, je suis la fille de Mehdi Qaraee, professeur exécuté en Iran, avec 30.000 autres dans le massacre de 1988. J’avais un an quand mon père a été arrêté.
Deux mois plus tard, ma mère et moi avons été arrêtées et envoyées à la prison des gardiens de la révolution de Vakil Abad à Machad. J’étais toute petite mais j’ai passé plusieurs mois au milieu de personnes torturées. Après les interrogatoires et les scéances de torture de ma mère, ils ont fini par me rendre à la famille de mon père, hors de la prison.
Ensuite, les visites à mon père et à ma mère ont été limitées à une fois par semaine, juste quelques minutes, derrière une vitre épaisse et pleine de buée.
Au bout de deux ans, maman est revenue, et papa au bout de 4 ans. C’est à cinq ans que pour la première fois j’ai ressenti le bonheur d’être aux côtés de ma mère et de mon père. Malheureusement cela n’a pas duré.
Pour un simple appel téléphonique
En 1986, les gardiens de la nuit ont arrêté mon père dix jours à peine après la naissance mon frère. Mon père a été arrêté uniquement pour un simple appel téléphonique avec un ami à l’étranger et condamné à cinq ans de prison.
Et la période noire de la prison a recommencé : les longues files d’attentes pour le parloir, les trop brefs instants derrière la vitre et devoir compter les jours jusqu’à la libération de mon père.
Eté 1988 : j’ai 8 ans. Les visites de quelques minutes du mercredi sont interrompues d’un coup. Tous les prisonniers sont interdits de visites. Et à l’extérieur, nous n’avons aucune nouvelle de ce qui se passe dans les prisons. Trois mois se succèdent, chaque semaine, des heures et des heures passées à attendre devant la porte des prisons, sous le soleil brulant de l’été, les lèvres crispées par la pression et l’inquiétude. On attendait, sans la moindre réponse de la part des gardiens de la révolution.
Tout le climat est tendu. L’inquiétude se lit sur le visage de chacun, mais personne ne parle. Enfin octobre arrive. Ils nous apprennent l’exécution de mon père. Ils nous empêchent à coups de menaces d’organiser une cérémonie funéraire.
Mais peut-on empêcher les gens de tenir une cérémonie funéraire pour leurs bienaimés ?
Je me souviens que lorsque nous sommes entrés dans la maison de mon grand-père, il y avait une grande photo de mon père avec deux bougies et des femmes habillées en noir. Mais j’ai crié: « ne pleurez pas pour mon père, il est vivant et il est parti au paradis ! »
Dès les premiers instants, ma mère s’est mise à nommer les pères et les mères de mes amies qui eux aussi avaient été exécutés dans le massacre. Elle voulait dire que nous n’étions pas seuls dans cette grande douleur et que le massacre dépassait l’imagination.
Privés du dernier adieu
Quand ils ont annoncé les exécutions, tout le monde s’est mis à chercher les siens. Mais où sont donc les corps de nos biens aimés ? Où ont-ils été enterrés. Devions-nous aussi être privés du dernier adieu ?
Nous partons au plus grand cimetière de la ville. On apprend que dans un coin au bout du cimetière Behecht-e-Reza, là où auparavant quelques exécutés de l’année 1981 ont été ensevelis, il y a des signes de fosses communes. On se met à creuser les tombes.
Un de nos proches vient nous dire avoir vu de ses propres yeux des camions la nuit amener des corps d’exécutés, avec les vêtements qu’ils portaient en prison et les déverser dans des fosses, aplanies au bulldozer. Dès lors, les familles se réunissent dans ce cimetière pour se recueillir.
Malgré le climat sécuritaire très tendu, les familles qui ont perdu un jeune ou un adolescent, transforment ce terrain vague en jardin, en y plantant des fleurs et des arbres. Mais la semaine suivante, les agents du régime arrachent les fleurs et brulent les arbres.
Ces adorateurs des ténèbres avaient même peur de la terre qui recouvrait nos êtres chers et des fleurs qui y poussaient.
Ni oubli ni pardon : nous voulons la justice
Le monde à cette époque n’a pas compris ce qui s’est passé pour nos bienaimés dans les prisons des mollahs ni ce qui s’est passé pour nous les familles, à l’extérieur. Aucune mère ne réussissait à faire entendre sa voix.
Mais aujourd’hui après 28 ans, grâce aux efforts nuit et jour de la résistance iranienne pour dénoncer les crimes du régime durant ces 37 années, et qui malheureusement se poursuivent, je me tiens là devant vous pour demander justice, au nom de tous les enfants et de tous les conjoints des martyrs du massacre de 1988. Et pour dire : nous n’oublions pas et nous ne pardonnons pas.
Je suis là pour dire que je suis fière de mon père et de la voie qu’il a choisie. Je suis fière de mon père et de tous les martyrs qui ont préférer mourir avec dignité plutôt que mourir dans l’humiliation et qui ont résisté jusqu’au bout.
Je suis là pour demander aux instances internationales de juger les auteurs et les cerveaux de ce massacre et de mettre fin aux violations des droits humains en Iran !